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les chaires de nos universités, la scène de nos théâtres, jusqu’à la tribune de nos assemblées politiques. Cet essor inattendu d’une race si longtemps comprimée a été tellement rapide que plusieurs ont cru assister à une sorte de renaissance nationale, telle que l’Europe en a salué plus d’une au XIXe siècle. Beaucoup de ces affranchis d’hier se sont hardiment essayés dans nos arts, dans nos sciences ; on eût dit des oiseaux dont on ouvrait la cage, si prompt a été leur vol ; on les a vus s’élancer de rameau en rameau sur toutes les branches de l’arbre touffu de notre culture moderne, comme si aucune n’était trop haute pour leurs ailes. Cela seul est un fait considérable. Comment, après cela, nous faire croire que le Juif est impropre à notre civilisation, que les fatalités de race font du sémite un Oriental, condamné à être simple spectateur de notre culture d’Occident ? Cette civilisation, le Juif à peine affranchi y a pris sa place d’emblée, une place trop large au gré de beaucoup d’entre nous. Chose singulière, ce prétendu Oriental réussit d’habitude beaucoup mieux en Occident qu’en Orient, tant il s’assimile aisément le génie de l’Occident. En dehors de la France et de la Hollande, il n’y a pas un siècle que ce paria circoncis est émancipé ; et dans tous les pays où il a obtenu l’égalité des droits, ce petit juif, hier encore parqué dans son ghetto, ne se contente pas de régner à la Bourse ; il rivalise avec nous, sur notre terrain, dans ce qui lui était le plus étranger, dans les arts et les sciences les plus modernes. Phénomène peut-être sans précédent dans l’histoire, il ne lui a même pas fallu, pour cela, un stage de deux ou trois générations. Que conclure de là, sinon qu’entre le sémite et nous, malgré toutes les différences d’origine et d’éducation historique, il existe une secrète conformité de nature, une incontestable parenté intellectuelle ? Dans presque tous les domaines, ce nouveau-venu d’Israël s’est montré de force à lutter avec le chrétien, avec l’aryen. Quel est le pays moderne qui n’en ait fait l’expérience ? Les Juifs ont beau être parmi nous en minorité infime, — un ou deux pour cent ; parfois, comme en France ou en Italie, un ou deux pour mille, — dans presque toutes les carrières, dans celles surtout qui n’exigent que de l’intelligence et du travail, on trouve, depuis moins de cent ans, quelques Juifs qui se sont élevés aux premiers rangs. Ces succès du sémite dans les champs les plus divers sont même peut-être le principal facteur de l’antisémitisme. Pour être si peu, les Juifs tiennent partout trop de place. Comme je le disais en commençant, ils ont le tort de montrer que le nombre n’est pas tout ; et cela, le nombre ne le pardonne point.

Comparez en effet cette infime minorité juive à la majorité chrétienne, comptez le nombre d’hommes distingués sortis des rangs d’Israël. Nul doute que, à nombre égal, le Juif, le soi-disant sémite,