Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/787

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans leurs crasseuses lévites la dernière épidémie littéraire, l’égotisme, le culte du moi, insipide et malsaine fadaise dont sont victimes tant de novices ingénus ? Dans la cohue tapageuse des « jeunes, » mûrs ou adolescens, qui s’évertuent à surprendre l’attention par l’étrangeté bariolée de leur prose alanguie, ou par le déhanchement rythmique de leurs vers désarticulés, j’aperçois bien quelques arrière-neveux d’Abraham, et non peut-être des moins lestes. Je ne sais qui l’a dit : Il y a presque autant de sémites dans nos petits cénacles littéraires qu’à la petite Bourse ; mais je ne vois pas qu’on puisse réclamer pour eux l’initiative. Ni M. Mikhaïl Éphraïm, ni M. Kahn, n’auraient eu pareille prétention. Ils se bornent, ces fils de Jacob, à suivre la mode du jour en cherchant à deviner celle de demain. Là comme partout, ils font preuve de savoir-faire, d’agilité, de subtilité ; mais si l’on est en droit de leur dénier l’imagination créatrice, c’est ici. Ils ne sont même pas, ces Juifs d’outre-Rhin ou d’outre-Vistule, les seuls étrangers d’origine qui se délectent à renouveler notre prose ou notre poésie française. Grecs, Roumains, Flamands, Slaves, créoles, ils s’y sont tous attelés ; c’est dans notre vieille langue comme une invasion de barbares raffinés. Puissent-ils l’assouplir sans la trop déformer !

Il y a bien, au théâtre, un genre secondaire, à demi démodé, où les fils de Juda ont longtemps primé. Sans Hervé, l’auteur du Petit Faust, peut-être même eussent-ils pu réclamer un brevet d’invention. Je veux parler de l’opérette française, de l’opéra bouffe du second Empire. Voilà, semble-t-il, un genre français. Or, poètes et musiciens, les créateurs de l’opérette avaient, pour la plupart, du sang des tribus. Faut-il croire pour cela que c’est un genre juif ? Mais comment cette opérette est-elle née en France et n’a-t-elle fleuri qu’à Paris ? Dirons-nous qu’Orphée aux enfers, la Belle-Hélène, la Grande-Duchesse personnifient l’esprit juif dont la verve sacrilège se rit des rois et des dieux ? Ces irrévérencieuses parodies de l’héroïque et du divin sont-elles un jeu de l’ironie juive ? Je le veux bien ; l’ironie juive, cette fois, n’est pas bien cruelle ; mais comment n’y pas reconnaître la gaîté française et la « blague » parisienne, qui n’ont jamais été très fortes sur la notion du respect ? Hector Crémieux et Offenbach ont eu bien des précurseurs depuis l’Enéide travestie, depuis la Pucelle et les Galanteries de la Bible sans remonter au Gargantua et aux Dialogues de Lucien. Quelle est la chose sainte pour le croyant ou le patriote que n’ait tournée en ridicule l’esprit gaulois ? Que de Français de la vieille France, — qui, elle, n’était pas juive, n’ont point rougi de traiter les patriarches de la Bible, les saints de l’Évangile, et les héros de notre histoire, comme les librettistes des Variétés ou des Bouffes ont accommodé les héros d’Homère et les demi-dieux de la Grèce ! Ne faisons point les Pharisiens ;