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au jugement des meilleurs juges, la Cabbale même est sans racine dans le judaïsme.

Ni chevaleresque, ni mystique, quel est l’idéal du juif ? C’est, pourrait-on dire, un idéal bourgeois et, si l’on peut associer ces deux mots, un idéal positif. Il ne se perd pas dans les nuages ou dans l’azur du ciel ; ce qu’il vise, c’est la terre et les réalités terrestres ; son objet est l’établissement de la paix et la diffusion du bien-être parmi les hommes. C’est ce que, ici même, on a appelé l’idéal charnel du juif ; idéal terre à terre peut-être, idéal, si l’on veut, de courtier besogneux ou de banquier enrichi, pas tant à mépriser cependant, car il se ramène à ce qui fut l’idéal des prophètes, le règne de la justice dans le monde. Et viendra le temps où chacun pourra s’asseoir en paix, à l’ombre de sa vigne ou de son figuier. Charnel ou non, tel est demeuré, à travers les âges, l’idéal judaïque ; et ce terrestre idéal de l’antique Israël, peu importe que le Juif l’ait rapetissé à sa taille ; l’on ne saurait nier qu’il coïncide avec celui des temps nouveaux, avec le rêve humanitaire légué aux peuples modernes par le XVIIIe siècle, qui, à travers toutes ses utopies et ses frivolités, fut à sa manière un siècle idéaliste.

Israël peut se vanter d’avoir, de longue date, pris les devans sur les gentils. Comment s’appelle-t-il, dans la tradition de Juda, cet espoir lointain d’un renouvellement des sociétés humaines ? Il s’appelle d’un vieux nom : le messianisme. Le messianisme est le grand dogme et la grande originalité du judaïsme. Des treize articles de la profession de foi de Maïmonide, c’est encore celui qui garde le plus de croyans. Or, qu’est-ce que le messianisme, et comment l’entend-on en Juda ? Israël a, pendant deux mille ans, appelé le fils de David qui devait faire régner sur la terre la justice et la paix. Il est des Juifs qui l’attendent toujours, mais la plupart sont las d’invoquer sa venue. Leur espérance a été trop de fois trompée par les faux messies ; ils ont trop cru pour croire encore. Les rabbins eux-mêmes sourient des Juifs de Tibériade qui tiennent leur lampe allumée dans l’attente de la naissance de l’oint du Seigneur, ou des Juifs de Safed, assemblés d’avance au pied de la montagne sur laquelle le rejeton de Jessé doit établir son trône. Le Messie en chair et en os, le restaurateur de l’empire d’Israël qui devait asseoir sur le monde la domination de Jacob, bien peu y croient encore. Voilà longtemps déjà que les docteurs se sont pris à en douter. Ils n’abandonnent pas pour cela, ces Juifs à la foi obstinée, l’espoir du Libérateur qui doit faire triompher sur la terre le droit et l’équité. Les murs de certaines synagogues de Galicie en représentent, en naïves peintures, les emblèmes prophétiques,