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conférer de diplôme de sainteté, n’en ont pas moins vénéré, elles aussi, des apôtres et des docteurs d’origine juive. Ainsi, en Allemagne, le grand Neander, une des gloires de la théologie orthodoxe, Neander, un des hommes qui ont momentanément réchauffé, dans l’église évangélique, la piété chrétienne engourdie par les glaces du rationalisme[1].

Que chez les fils d’Abraham la racine des sentimens nobles n’ait pas toujours été desséchée, cela me paraît hors de doute ; mais je ne sais si leur idéal est toujours le même que le nôtre. Peut-être y a-t-il dans le passé d’Israël quelque chose qui décolore ses aspirations les plus hautes et teinte son idéal d’une nuance de prosaïsme. Le Juif est vieux, et il a longtemps vu le monde à travers les grilles du ghetto. Jusqu’en ses rêves, il se peut qu’il soit plus positif que des races plus jeunes, dont l’adolescence, plus choyée, a eu plus d’expansion. À nous fils ingrats de la nouvelle Rome, grandis joyeusement sur les genoux maternels de l’Église, il nous revient parfois des réminiscences de notre enfance chrétienne et de ses élans vers le ciel. Nous sommes les fils des croisés ; et de la vie du moine et du chevalier, il nous reste un tour d’imagination, une fierté de sentiment, une délicatesse d’âme, malaisés à retrouver chez les fils du sémite, tenus comme des chiens à la porte de la maison. L’idéal, qui s’est formé au moyen âge dans le donjon du château-fort et sous les arcades du cloître, n’est pas celui du Juif ; — pas plus d’ailleurs qu’il n’est, là-bas, celui du Yankee. Le Juif n’est d’habitude ni chevaleresque, ni mystique ; nous en avons donné les raisons. Qu’il soit peu chevaleresque, n’ait que dédain pour le donquichottisme et montre peu de goût pour la gloire bruyante des armes et les aventures noblement périlleuses, comment en être surpris, quand l’écu du chevalier et le droit de ceindre l’épée lui ont été déniés pendant des siècles ? De même, il n’est guère enclin au mysticisme et semble ne l’avoir jamais été : le judaïsme est toujours resté une loi, une religion de tête, un culte de raison, peu favorable aux mystiques transports ou aux divines langueurs. Le mysticisme de la Cabbale et des néo-cabbalistes, les Hassidim, semble une semence apportée du dehors ;

  1. L’Angleterre aussi a eu ses pasteurs et ses missionnaires de sang Israélite. Une revue ecclésiastique anglicane, the Newherry Bouse Magazine (janvier 1892, p. 320), affirme qu’il y a, dans l’église établie, quatre évêques et cent vingt clergymen d’origine juive, dont plusieurs se sont signalés par la ferveur et le désintéressement de leur apostolat. Lord Herschell, le chancelier du cabinet Gladstone, est ainsi le fils d’un juif polonais, Ridley Herschell, devenu après son baptême ministre anglican.