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L’ART RÉALISTE ET LA CRITIQUE

I.
THÉOPHILE THORÉ.

Le réalisme a joué un rôle si considérable dans l’art français du XIXe siècle, qu’un moment il a pu s’en croire maître. Nous savons à cette heure qu’il se trompait, et, quoique son action ne soit pas encore épuisée, il se rend compte lui-même qu’il a déjà perdu beaucoup du terrain conquis. Il en a été pour lui, en effet, comme pour toutes les écoles exclusives qui ont prétendu régner sur l’art : à aucun moment de notre siècle, aucune d’elles n’a été ni tout à fait victorieuse ni tout à fait vaincue. Bien plus, elles ont existé de tout temps, apparentes ou cachées, se formulant avec complaisance ou s’ignorant, même celles qui se prétendent les plus originales et les plus modernes. Classique et romantique, idéaliste et réaliste, leur destinée, aujourd’hui comme autrefois, est de durer côte à côte en se combattant ; au temps où nous sommes, elles semblent aboutir par leur mélange à un éclectisme anarchique. Les Salons annuels nous montrent, à quelques pas de distance, M. Bouguereau et M. Detaille, M. Puvis de Chavannes et M. J.-P. Laurens, M. Roll et M. Besnard ; en sculpture, M. Mercié et M. Rodin ont chacun leurs fervens ; en architecture, l’école romaine est au plus fort de son antagonisme avec l’école médiéviste. Bien entendu, la persistance de ces diverses écoles n’a pas empêché chacune d’elles de refuser aux autres le droit d’exister ; mais pour l’esprit de despotisme, aucune