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rousse, brûlée et pelée. Les contours du Corydalle tremblent dans une chaleur radieuse, qui vibre et flamboie. Les montagnes s’abaissent en collines fauves, en ardens promontoires, que fouillent et creusent les eaux marines. Du côté de Salamine, qui découpe en pleine lumière ses cimes aiguës, la mer luit et étincelle, trop lumineuse et trop éblouissante, pour nos yeux accoutumés à des visions plus molles. La plage de Munychie et de Phalère est déserte ; l’inhumaine splendeur du ciel a clos, comme des yeux accablés, les fenêtres des maisons assoupies. Le grand triangle bleu du Pentélique ferme l’horizon ; et, dans ce paysage d’azur et d’or, devant la haute pointe du Lycabète, sur le piédestal de l’Acropole, le Parthénon apparaît nettement, avec son fronton blanc, ses colonnes droites, ses formes précises et limitées. D’ici, il paraît achevé, complet ; on distingue à peine les ravages du temps et des hommes. Dans ce lointain, qui dérobe à nos yeux ses blessures et ses misères, il est royal et charmant ; et, tout près de la masse informe de l’Hymette, coupée de ravines et de précipices, tachetée, par endroits, d’une maigre verdure, le temple divin, œuvre du calcul et de la patience, domine de sa grâce calme et robuste la ville neuve, qui éparpille ses terrasses sur le déclin des pentes.

Tandis que nous rangeons l’Attique sèche et parfumée, le soleil descend à l’occident vermeil. Une rougeur épandue noie de pourpre rayonnante les pointes d’Égine. Les rayons obliques caressent de lueurs légères l’échine rugueuse de Gaïdouronisi, petite île triste, dont les roches sont mangées lentement par le flot. Le ciel rose se nuance de teintes pâles, où agonise la magnificence du soir, et le soleil ressemble à une énorme sphère de métal rougi au feu. L’ombre s’abat sur les vallées, estompe le profil des montagnes, bleuit leur surface, adoucit l’âpreté des lignes brusques. La couleur des eaux s’éteint et se ternit. La première étoile s’allume dans les transparences du ciel… Voilà Sunium. Sur la haute falaise, la blancheur du temple semble éclairer miraculeusement la nuit commençante. Placée en avant, bien en vue des bateaux qui venaient du large, la chapelle du dieu des eaux, asile des naufragés et recours des navigateurs, était l’avant-courrière de l’Attique, et comme la messagère de l’Acropole. Dans l’incertitude du crépuscule, les colonnes et les frontons semblent complets et intacts, tels qu’ils apparaissaient aux patrons de barques, venus de la lointaine Phénicie ou des ports de l’Archipel…

Au couchant, le disque enflammé disparaît envahi par la noirceur. Il va si vite, qu’il semble tomber, s’engloutir, s’abîmer dans la nuit. Ici, la mort du soleil est rapide. Il n’y a presque pas de transition entre le jour éclatant et la nuit semée de feux.