Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/872

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’affaire fut transmis aux juges athéniens ; le procès fut instruit ; l’accusé, cité à comparaître devant la cour d’assises d’Athènes, protesta de son innocence, tout en se gardant bien de venir plaider sa cause, et une sentence de condamnation à mort fut rendue par coutumace.

M. Lysandre s’en moque. Il achève paisiblement sa carrière au milieu de sa famille et de ses concitoyens. Il évite les abords du consulat grec et ne sort jamais de son île. Ses amis répètent qu’il est innocent. Il a même été honoré de plusieurs fonctions électives, malgré l’opposition de ses ennemis politiques, qui ont, il faut l’avouer, une assez belle « plate-forme. » Je le rencontrai plusieurs fois, après ces révélations de l’implacable M. Manos. Il m’adressait toujours un amical sourire, mais je ne pouvais me détendre, on serrant sa main cordiale, d’un petit frisson.


III.

Le jour fixé pour le déjeuner auquel m’avait convié le commandeur Spadaro étant arrivé, ce digne homme eut la bonté de venir me prendre, en personne, à l’hôtel du Levant. En traversant, avec lui, la grande rue de la ville, et les ruelles resserrées qui séparent les boutiques neuves du bazar, je fus surpris de voir partout, autour de nous, des préparatifs de fête. La place du Vounaki, entre le konak, la citadelle et la mosquée, était plus bruyante que de coutume. Les soldats attachaient à des poteaux verts, devant la grande porte de leur caserne, des lanternes vénitiennes et des guirlandes de papier découpé. Des lampions avaient été disposés sur les galeries des minarets, on avait accroché aux murailles nues du konak des trophées de drapeaux rouges au croissant d’argent, et des écussons verts au chiffre impérial. Sur des écriteaux, pendus aux murs à demi écroulés de la vieille citadelle, on avait calligraphié : « Padichahim tchoc lahia, longue vie au Padichah ! »

— C’est aujourd’hui la fête de sa majesté le sultan, me dit M. Spadaro ; si vous le voulez bien, nous irons dans l’après-midi faire une visite officielle à son excellence Kiémal-Bey, moutessarif de Chio.

— Volontiers, lui dis-je, à condition que nous ne rencontrerons pas son excellence le mufti.

Le commandeur voulut bien rire aux éclats de cette plaisanterie, et nous arrivâmes à sa maison, au-dessus de laquelle flottait, au bout d’un mât, un immense drapeau tricolore.

Une salle à manger claire et spacieuse nous attendait. La « consulesse »