inspiré son culte de la forme, si elle a favorisé son goût pour l’abstraction, à tout instant aussi l’idéal de Michel-Ange se trouve en opposition avec celui des Grecs. Considérons par exemple sa tendance à subordonner à une impression unique, non-seulement les membres et les organes qui traduisent les mouvemens de l’âme, les yeux, la bouche, les mains, mais encore des parties du corps en quelque sorte inconscientes, le torse, et jusqu’aux draperies, en un mot cette habitude de faire vibrer tout notre être sur une note unique, sur une note qui exprime l’émotion la plus forte, le pathétique suprême : est-il rien qui jure davantage avec les habitudes des sculpteurs de la belle période classique, préoccupés de nous offrir des formes pures et harmonieuses avant de songer à traduire les mouvemens de l’âme ?
Aussi bien n’est-ce pas chez les contemporains de Périclès, mais chez les sculpteurs de l’école de Pergame, puis chez les sculpteurs romains et surtout chez les graveurs en pierres dures, si brillamment représentés dans les collections des Médicis, qu’il faut chercher les prototypes de ces attitudes mouvementées et dramatiques. Le Laocoon ne fut découvert que plus tard, en 1506 ; immédiatement, dans les fresques de la Sixtine, l’influence de ce groupe si expressif se fit sentir.
Ce que l’étude des marbres réunis dans les jardins et des pierres gravées réunies dans les vitrines des Médicis avait été pour le sculpteur, la fréquentation des humanistes groupés autour de Laurent le Magnifique le fut pour le penseur et le poète. Nul doute que les théories platoniciennes, qui abondent dans les sonnets de Michel-Ange, ne lui soient venues de son commerce avec Marsile Ficin, le chef du néo-platonisme, dont l’action fut sur ce point corroborée par celle de Savonarole, adepte inconscient, mais ardent du philosophe de l’Académie. De même aussi, il est facile de faire remonter à l’influence d’un autre familier des Médicis, Cristoforo Landini, le commentateur de Dante, l’admiration passionnée que Michel-Ange professa toute sa vie pour le grand poète florentin. Ces deux nobles esprits, je veux dire Dante et Savonarole, mêlèrent à la sérénité du philosophe antique je ne sais quelle note sombre et pathétique, dernier écho des souffrances du moyen âge. Leur piété profonde, leur exaltation mystique, leur farouche amour de la liberté, — autant de traits qui ont passé dans l’âme du jeune Michel-Ange ou plutôt qui y ont exalté des qualités auparavant restées à l’état latent.
La mort de Laurent le Magnifique, au mois d’avril 1492, mit fin à la situation si enviable de Michel-Ange. Pierre, le fils de Laurent, était un jeune homme arrogant et sans goût véritable pour les