Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

études qui avaient fait le bonheur et la gloire de son père. On raconte qu’il employa Michel-Ange, tantôt à rechercher pour lui des pierres gravées, camées et intailles, tantôt à modeler une statue en neige. L’adolescent fit un meilleur usage de son temps en sculptant l’Hercule en marbre, que l’on put longtemps admirer au château de Fontainebleau (il a disparu depuis le XVIIe siècle), et un Crucifix de bois, destiné au couvent de Santo-Spirito, à Florence, ouvrage dont on a également perdu toute trace.

L’orage qui devait ruiner la domination des Médicis n’allait d’ailleurs pas tarder à éclater. On sait comment, le 8 novembre 1494, à la veille de l’entrée de l’armée française, Pierre, repoussé par ses compatriotes, prit honteusement la fuite et quitta sa ville natale, qu’il ne devait plus revoir.

Michel-Ange n’avait pas attendu jusque-là pour quitter subrepticement Florence. Un chanteur attaché aux Médicis, un certain Cardiere, l’ayant entretenu d’une vision qu’il avait eue à deux reprises différentes, — Laurent le Magnifique lui était apparu, n’ayant pour vêtement qu’une chemise noire déchirée, et l’avait chargé de dire à son fils Pierre qu’il ne tarderait pas à être chassé, — le jeune artiste courut d’une traite à Bologne en compagnie de deux de ses camarades. Étant donnée la tension d’esprit extraordinaire que s’imposait Michel-Ange, ces brusques dépressions n’ont rien de surprenant : la nature, contrariée et violentée par ce travailleur opiniâtre, prenait subitement sa revanche. C’est ainsi qu’il s’enfuit de Rome en 1506, persuadé que le pape Jules II voulait le faire assassiner ; c’est ainsi encore qu’il abandonna subitement Florence pendant le siège de 1529, sauf à venir reprendre bravement son rang parmi ses concitoyens, le premier moment d’affolement passé.


III.

Nous nous sommes séparés de Michel-Ange au moment où il s’enfuyait précipitamment de Florence, sous l’empire d’on ne sait quelles terreurs prophétiques. Nous le retrouvons fixé à Bologne, la prospère, l’indolente, la grasse Bologne, cité hospitalière, où les artistes étrangers, surtout les Florentins, étaient assurés en ce temps de toujours trouver bon accueil, précisément parce que les artistes indigènes ne se sentaient pas de taille à leur disputer la suprématie.

Ainsi s’explique comment le jeune Florentin fut chargé immédiatement d’un travail aussi important que l’exécution des figures destinées à la châsse de Saint-Dominique, monument célèbre,