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la décoration du plafond de la Sixtine. Rien de plus faux : les documens publiés à l’occasion du centenaire le prouvent surabondamment ; ils nous apprennent que le projet de décoration de la Sixtine remonte à l’année 1506, que l’initiative en revient à San Gallo, l’ami de Michel-Ange (il était assez naturel que les Florentins se soutinssent mutuellement contre les représentans des colonies rivales fixées à Rome) ; enfin, que Bramante, loin de l’appuyer, le combattit de toutes ses forces.

Il fut d’abord question d’orner les lunettes des figures des douze apôtres et le reste de la voûte de motifs d’ornement. Ce programme reçut même un commencement d’exécution. Mais Michel-Ange ne tarda pas à s’apercevoir que ces douze personnages isolés produiraient un effet mesquin et il proposa au pape une décoration infiniment plus riche en figures et d’une portée symbolique bien autrement haute. Jules II, toujours passionné pour le colossal, accepta avec enthousiasme.

Michel-Ange s’était mis à l’œuvre le 10 mai 1508 ; vers l’automne de 1510, il avait terminé les peintures de la voûte proprement dite ; au mois d’octobre 1512, les pendentifs et les lunettes étaient achevés à leur tour, et la chapelle pouvait enfin être livrée à l’admiration publique. Ce cycle colossal a donc été exécuté dans le délai si court de quatre années, et par un seul homme, exemple de labeur et de fécondité unique très certainement dans les annales de l’art moderne. L’énergie et la puissance de concentration dont Michel-Ange fit preuve pendant ce laps de temps tiennent du prodige. Enfermé dans la chapelle, il n’y laissait pénétrer âme qui vive. À peine le pape obtenait-il la faveur de visiter parfois le chef-d’œuvre qu’il payait.

Au début, le maître se laissa aller plus d’une fois au découragement. Le 27 janvier 1509, il écrivait à son père : « Je suis encore tout troublé (io ancora sono in fantasia grande) parce qu’il y a déjà un an que je n’ai pas reçu un gros de ce pape ; je ne lui demande rien, parce que mon travail n’avance pas assez pour me paraître mériter une rémunération. Cela tient à la difficulté du travail, et à ce que ce n’est point là ma profession, je perds donc mon temps sans utilité. Dieu m’assiste ! » Quelle modestie sublime dans ces accès de désespoir ! Avoir réalisé en quatre ans ce labeur infini, voilà ce que Michel-Ange appelait perdre son temps !

Le travail ayant commencé par les peintures de la voûte, ce sont elles qu’il convient d’examiner les premières. Une série de dessins, conservés à l’université d’Oxford, nous fait connaître la manière de procéder de Michel-Ange ; elle nous le montre replié sur lui-même, mûrissant longuement ses idées dans son esprit avant de