regrettent l’ombre tutélaire d’un arbre mort. Il n’est au pouvoir de personne de redresser l’arbre sur ses racines séchées. Notre seul espoir réside dans les réserves d’énergie cachées au fond de notre peuple ; or, on obtiendra tout de ce peuple, sauf qu’il renonce au mot de république. N’oublions pas qu’il a mis dans ces syllabes mystiques le peu d’idéalisme qui lui reste, c’est-à-dire la seule force de foi que nous puissions utiliser pour son bien à l’intérieur, pour sa défense au dehors. Il a transporté sur ce dogme le dévoûment, le loyalisme, la tendresse naïve que ses pères prodiguaient à une race royale. Il dit, comme le Strozzi de Lorenzaccio : — « La république, il nous faut ce mot-là. Et quand ce ne serait qu’un mot, c’est quelque chose, puisque les peuples se lèvent quand il traverse l’air. » — Il semble en vérité qu’adversaires et défenseurs du mot s’entendent pour le rapetisser : les uns par leur entêtement à croire qu’on peut encore l’arracher de l’âme française, par leur obstination à le ravaler dans un parti ; les autres, par leur âpreté à le revendiquer comme l’enseigne exclusive de ce parti. Tels des enfans qui prétendraient supprimer ou accaparer pour quelques-uns d’entre eux la lumière du soleil, alors qu’il est au zénith. Si l’on dépensait au dehors l’ardeur gaspillée au dedans à ces luttes byzantines, le mot serait vite anobli, incontesté ; au-dessus des monarchies menacées qui nous entourent, le nom de la république française sonnerait comme sonnait jadis celui de la république romaine. — Écartons ces querelles nominales ; écartons aussi les médecins qui se flattent de nous rendre la santé avec des formules cabalistiques, de nouvelles combinaisons constitutionnelles, des révisions du pacte fondamental ; famille bâtarde de Sieyès, idéologues jugés d’avance par le mot de leur père après la grande crise : — « Qu’avez-vous fait ? — J’ai vécu. » — La meilleure constitution est celle que l’on a, pourvu qu’elle soit gardée par des mains fortes et habiles.
Dans notre Babel où chacun donne une consultation différente sur la chose publique, il n’est pas difficile de discerner sous cette cacophonie le besoin commun, l’aspiration universelle. On veut une direction ferme et suivie ; et on ne l’attend que d’un homme. La masse de notre peuple joint l’horreur des révolutions au désir d’une forte protection nationale et sociale ; par suite de traditions encore vivantes, d’un instinct de race que l’on peut proclamer très haut, parce qu’il est l’instinct du bon sens, elle ne croit à l’efficacité de cette protection qu’en la voyant incarnée dans un nom, dans une physionomie, et surtout dans un cœur. L’élite pense de même, parce que l’élite, qui se connaît bien, se sent plus faible encore que la masse et se défie davantage de sa propre capacité à se conduire. Tous ne l’avouent pas ; beaucoup sont retenus en public par je ne sais quel respect humain, par la crainte de paraître pactiser avec une