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nom est respecté, puissant, populaire : le nom de l’inaugurateur de l’Exposition, de « l’ami du tsar. » D’autres hommes d’État peuvent faire plus grande figure dans nos sphères politiques : le bruit de leur mérite arrive à peine aux masses sourdes, qui n’ont de place dans la maison que pour un portrait, dans la mémoire que pour un nom. Toutes les machines que ces habiles pourraient combiner ne prévaudraient pas dans les campagnes contre un mot direct du président. — Mais le président est prisonnier dans une constitution qui l’annihile ! — Lieu-commun que l’on répète de confiance, faute d’y aller voir. Relisez la constitution ; elle donne au chef de l’État des pouvoirs plus que suffisans pour gouverner. — Le président a l’initiative des lois, concurremment avec les membres des deux chambres. — Il dispose de la force armée, il nomme à tous les emplois civils et militaires. — Le président communique avec les chambres par des messages, qui sont lus par un ministre. — Le président peut, par un message motivé, demander aux deux chambres une nouvelle délibération, qui ne peut lui être refusée. — Le président peut ajourner les chambres, pour un mois, deux fois dans la même session ; il peut, sur l’avis conforme du sénat, dissoudre la chambre des députés. — Et ce sont là ses fonctions prévues, régulières. En outre, aucun texte ne limite sa liberté dans le choix de ses ministres ; rien ne lui interdit les messages directs au pays. Le président n’est pas prisonnier dans la constitution ; il est le prisonnier d’une tradition faussée. N’en est-on pas venu, sous l’obsession des souvenirs irritans d’autres époques, à considérer comme une sorte de coup d’État l’exercice normal du droit de dissolution, si fréquent dans la vie constitutionnelle des nations voisines ?

Supposons qu’à la prochaine crise, quand on sera descendu de quelques degrés encore dans l’anarchie, M. le président de la République veuille enfin rassurer et gouverner le pays ; qu’il compose un cabinet d’hommes d’affaires, pris dans le sénat ou au dehors, armés d’un décret de dissolution : si ces hommes sont encore obscurs, qu’importe, pourvu qu’ils soient compétens dans leurs administrations respectives ? — Je gagerais ce que j’ai de plus cher au monde qu’après un pareil acte, le pays, consulté au nom du président, lui enverrait une majorité compacte, docile sous la main du chef de l’État. — Mais ce seraient là des innovations effrayantes ! — En apparence ; moins effrayantes à coup sûr que le gâchis résultant des moindres incidens, avec la routine présente. Préfère-t-on mourir de mort lente ! Comme le dit Stuart Mill, « quand on a pour objet d’élever la condition permanente d’un peuple, les petits moyens ne produisent pas seulement de