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REVUE MUSICALE

Théâtre de l’Opéra : Samson et Dalila, opéra en 3 actes ; paroles de M. F. Lemaire ; musique de M. Saint-Saëns ; Stratonice, opéra en 1 acte ; paroles de M. L. Gallet ; musique de M. Fournier-Alix.

Il y a deux ans[1], j’ai dit beaucoup de bien de Samson et Dalila. J’en voudrais dire encore aujourd’hui, sans craindre d’en jamais trop dire. L’œuvre de M. Saint-Saëns est décidément et restera parmi les chefs-d’œuvre de notre époque. Que dis-je ? elle reste déjà, car elle a déjà son passé. Ignorée durant une quinzaine d’années, elle fit, parmi nous, au théâtre lyrique de l’Éden, en 1890, une brillante, mais courte apparition ; puis elle rentra dans l’ombre. Voici qu’elle en sort de nouveau, glorieusement et, j’espère, pour toujours. Dans le silence et la retraite, elle s’est encore fortifiée et embellie. Le temps jusqu’ici ne l’entame pas ; il la consacre.

Samson et Dalila me semble une des très rares œuvres contemporaines, la seule peut-être, qui nous inspire à tous, musiciens et profanes, des sentimens de même nature que les œuvres classiques : aux uns, l’admiration pure ; aux autres, une admiration où se mêle beaucoup de déférence, avec quelque froideur et, pourquoi ne pas le dire, puisque eux-mêmes l’avouent, un peu d’ennui. Classique, la musique de M. Saint-Saëns l’est en effet, et dans plus d’une acception du mot. D’abord, dans l’acception étymologique et latine. On appelait à Rome classiez les citoyens de la première classe, de la plus riche, ceux qui possédaient un revenu supérieur à une somme déterminée. Aulu-Gelle, dit Sainte-Beuve, appliqua le terme à certains écrivains : — « Un écrivain de valeur et de marque, classicus assiduusque scriptor, un écrivain qui compte, qui a du bien au soleil et qui n’est pas confondu dans la foule des prolétaires. » — En musique, personne, n’est-ce pas, ne conteste

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1890.