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croirait pas si nous disions qu’il l’a rempli. Qui pourrait, en effet, le remplir, se bornât-il uniquement à la France, comme l’a fait M. Grand-Carteret ? Nous ne savons pas encore, nous ne pouvons pas dire avec exactitude quelle est l’œuvre du XVIIIe siècle. Comment, dans l’œuvre du nôtre, saurions-nous, même avant que d’avoir tout à fait achevé de le vivre, distinguer les parties durables d’avec les caduques ? Mais ce qui est encore plus évident, c’est qu’on ne les distinguera jamais, si quelqu’un ne commence, et il nous faut féliciter M. Grand-Carteret de l’avoir entrepris. C’est ce que je voulais dire en disant que son livre est très supérieur à ceux du bibliophile Jacob. Dans tel de ses chapitres, sur les Étapes et l’esprit du XIXe siècle, sur l’Émancipation de la femme, sur les Théâtres, sur les Forces modernes, — au premier rang desquelles il range la presse, et avec raison, — sur les Inventions nouvelles, quoi encore ? sur les Salons et les clubs ou sur le Goût littéraire et le goût intime, M. Grand-Carteret a mis en lumière, habilement et heureusement, quelques-uns des caractères qui distinguent profondément le XIXe siècle de tous ceux qui l’ont précédé. Il ne pouvait pas faire davantage ; et ceux-là s’en rendront compte qui voudront bien supputer ce qu’exigeait de recherches, de réflexions, et de talent aussi, pour le réduire à quelques pages, un seul des chapitres dont nous venons d’indiquer les sujets.

Le livre de M. Paul Strauss sur Paris ignoré<ref> Paris ignoré, par M. Paul Strauss, conseiller municipal de la ville de Paris ; ouvrage illustré de 550 dessins inédits d’après nature, 1 vol. grand in-4o ; ancienne maison Quantin. </<ref> peut en servir d’exemple, n’étant, pour ainsi dire, en 500 pages in-quarto, que le développement d’une page ou deux du livre de M. Grand-Carteret. Paris ignoré, c’est le Paris qui fait vivre l’autre, qui entretient la circulation de ses rues, qui veille à sa sécurité ; c’est encore le Paris souterrain, si l’on peut ainsi dire, ce Paris dont les dessous, quand on y jette un coup d’œil distrait, ont l’air d’être plus machinés qu’un théâtre ; c’est aussi le Paris souffrant, celui dont tant d’hôpitaux, tant d’hospices, tant d’institutions de bienfaisance et de charité ne suffisent pas à soulager les nombreuses, les douloureuses, les hideuses misères. On conçoit aisément qu’en sa qualité de conseiller municipal, personne mieux que M. Strauss ne pouvait décrire ce Paris ignoré, depuis les caves de Bercy et les sous-sols des Halles jusqu’aux pavillons d’isolement de la Salpêtrière et jusqu’à l’école des teigneux de l’hôpital Saint-Louis. Nous pardonnera-t-il cependant de lui rappeler ici que M. Maxime du Camp l’avait fait avant lui ; et que « les dessous administratifs, l’intimité des services publics, le fonctionnement de l’octroi, les mille détails de la toilette de Paris, la navigation de la Seine et des canaux, » tout cela, sans être assez connu, n’était pas non plus si