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TURCARET ET L’OPINION PUBLIQUE
D’APRÈS DES DOCUMENS INÉDITS

La Bruyère, tout en épuisant ses traits les plus amers contre les manieurs d’argent, ces « âmes sales, pétries de boue et d’ordure, » écrivait avec découragement : « Un projet assez vain serait de vouloir tourner un homme fort sot et fort riche en ridicule : les rieurs sont de son côté. » Lesage osa espérer qu’ils seraient du sien, vingt ans après. On exalte d’ordinaire l’audace de son calcul, il vaudrait mieux en montrer l’adresse, et prouver qu’en dépit de certaines Apparences, la cour et la ville étaient d’accord, vers 1709, pour soutenir et applaudir Turcaret, et que la scène de Molière elle-même était préparée à recevoir cette satire sociale quand son auteur l’y porta. La réputation de hardiesse de Lesage en souffrirait peut-être, mais l’intérêt historique de sa comédie s’en accroîtrait, et ne suffit-il pas que la vérité y gagne ? Il y aurait lieu de se demander ensuite si le personnage de Turcaret répondit à l’attente du parterre et quel accueil il en reçut. On aurait ainsi l’état de l’opinion publique sur les hommes d’argent, pendant une des périodes les plus calamiteuses de notre histoire. Cela vaut bien la peine d’interroger les mémoires et les pamphlets du temps, les précurseurs immédiats de Lesage au théâtre, Turcaret lui-même et les archives de la Comédie-Française. Au surplus, la question est une de celles dont