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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/351

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l’âge de quarante-neuf ans, la veille même du jour où Voltaire, qui ne l’avait jamais vu sur un théâtre de Paris, mais qui le recevait tous les ans à Ferney, arrivait dans la capitale. Le parterre ayant demandé de ses nouvelles à l’acteur qui annonçait, celui-ci ne répondit que ces mots : Il est mort. Un cri de douleur s’échappa de toutes les poitrines, l’art venait de faire une perte irréparable. Clairon, Dumesnil, avaient quitté le théâtre, et Larive, Monvel[1], malgré quelques belles qualités, ne pouvaient remplir l’interrègne pendant lequel la royauté tragique allait demeurer vacante jusqu’à l’avènement de Talma.


IX

Un grand tragédien, Lekain ; trois grands acteurs comiques, Molé, Préville, Fleury[2] ; quelques traits communs : vocation précoce, irrésistible, que ne rebute aucune disgrâce, travail soutenu, effort perpétuel pour devenir supérieur à soi-même, intelligence et finesse, respect des traditions dramatiques, sympathie des gens du monde, services prolongés, quarante-deux, trente-trois, quarante ans à la Comédie-Française[3]. Molé, successeur de Grandval et Belcour, qui, à soixante-dix ans, jouait le marquis du Cercle,

  1. Monvel était petit, grêle, fluet, maigre à faire pitié ; il ressemblait, dit Clairon, à un amant à qui l’on a toujours envie de donner à manger. Lekain lui reprochait de trop détailler ses rôles, de dépecer les plus belles périodes pour en faire de la prose de conversation, et, dans son amour de la dignité tragique, il appelait cela du pathétique bourgeois, du naturel affecté. Voir sur Larive et Monvel : Mercure de France, années 1770-1781 ; Journal de Paris, 1781 ; Mémoires de l’Institut, 1798 ; Quérard, la France littéraire ; Grimm, Adolphe Jullien, Vigée-Lebrun, Louise Fusil, de Goncourt.
  2. Préville, né en 1721, mort en 1799 ; — Mole, 1734-1802 ; — Fleury, 1750-1824 ; — Correspondance de La Harpe ; Journal des théâtres ; le Censeur des théâtres ; Etienne et Martinville, Histoire du théâtre français ; Œuvres du vicomte de Ségur.
  3. Il n’est pas question de présenter ici, même en résumé, la vie des comédiens avant la révolution, mais d’esquisser leur physionomie générale, les traits principaux qui touchent l’histoire sociale de cette époque : aussi le nom d’un grand nombre d’acteurs, d’actrices de talent se trouve à peine prononcé, et sans doute, Brizard, Grandval, Belcour, Lanoue, Aufresne, Doligny, Sophie Arnould, Laruette, Armand, Sarrazin, Contat, cent autres mériteraient une étude attentive ; tel encore ce Dazincourt qui donna des leçons de déclamation à Marie-Antoinette, fut directeur des spectacles sous Napoléon, que Préville définissait ainsi à cause de son jeu plus sage que brillant : « C’est un bon comique, plaisanterie à part. » Les comédiens n’ont, en général, que la moindre part aux mémoires qui portent leur nom ; de véritables gens de lettres les inventent, les mettent en français, ou arrangent les notes plus ou moins informes qu’ils ont laissées : tels les Mémoires de Dazincourt, Dumesnil, Préville, Molé, Fleury, etc.