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principes, soit comme opposition, critique, correction, réfutation de ses idées sur les rapports de la pensée à la réalité, sur le monde, sur l’homme et sur Dieu. Un seul penseur, depuis Descartes jusqu’à nos jours, a pu introduire dans la philosophie un nouveau point de vue, — qui encore avait été pressenti par Descartes même et auquel on ne pouvait parvenir qu’en le continuant : c’est Kant. En métaphysique, Descartes a une triple lignée : tous les naturalistes, tous les idéalistes, enfin tous ceux qui professent la « primordialité de la volonté. » Son système, en effet, nous a offert trois « ordres » superposés dans leur hiérarchie : le mécanisme, la pensée, enfin la volonté, où Pascal verra le principe de la charité, Kant, celui de la justice, Schopenhauer, celui du renoncement à la vie et de la suprême abnégation. Après avoir été d’abord cartésien, Pascal a beau se retourner contre Descartes, jusque dans sa fameuse « Apologie » il conserve les principes fondamentaux du cartésianisme : essence de l’homme mise en la pensée, irréductibilité des deux mondes de la pensée et de l’étendue, mécanisme essentiel au monde physique ; « tout se fait par figure et mouvement, » avoue Pascal au moment même où il reproche à Descartes de vouloir pénétrer dans le détail des phénomènes et faire ainsi avancer les sciences. Enfin, chez Pascal comme chez Descartes, il y a les « trois ordres ; » et le troisième, supérieur à la pensée et à l’étendue, c’est le domaine de la volonté infinie, insondable, incompréhensible, où Descartes avait placé la dernière raison de toutes choses.

Mais Pascal entrevoit avec inquiétude la révolution qui se prépare dans les esprits : il jette sur un carré de papier les lignes auxquelles nous faisions tout à l’heure allusion. « Descartes. Il faut dire en gros : cela se fait par figure et mouvement ; car cela est vrai. Mais de dire quels et composer la matière, cela est ridicule ; car cela est inutile, et incertain, et pénible. » Ridicule ! Pourquoi donc Pascal avait-il fait lui-même ses fameuses expériences, auxquelles il tenait tant, sur l’ascension des liquides ? « Et quand cela serait vrai, dit-il encore, nous n’estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine. » Toute la philosophie, ici, remarquons-le, c’est aussi toute la science ! Pascal éprouve cependant une hésitation, un regret peut-être, — et il barre cette pensée ; mais, plus loin, il y revient : « Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes. » Et enfin, dans une autre note : « Descartes inutile et incertain. » — Non, mais dangereux peut-être pour l’orthodoxie catholique.

Le danger n’était pas immédiat ; aussi voyons-nous Bossuet et Fénelon, qui, en philosophie, ont plus de sagesse que d’originalité, combiner Descartes avec saint Augustin et saint Thomas. Bossuet,