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lorsque l’on essaie d’en reconstituer l’histoire et d’en reconnaître la première origine, d’où viennent-ils, et que sont-ils peut-être, si ce n’est autant de symboles, d’expressions plastiques et figurées de ce qu’il y a de plus original, de plus intérieur, et de plus permanent dans l’âme même ou le génie des races ? Puisque donc il n’y a pas de question littéraire un peu complexe qui n’aboutisse à la question de race, il n’en est pas non plus qui n’en dépende ; si toutes les autres y retournent, c’est qu’elles ont commencé jadis par en sortir ; et c’est pourquoi nos lecteurs ne s’étonneront pas de nous voir parler aujourd’hui du livre de M. Gumplowicz sur la Lutte des races.

Intéressant, curieux, et ambitieux, ce livre est-il d’ailleurs aussi neuf, aussi paradoxal, et aussi « dangereux » que le croit son auteur ? Car on n’a jamais pris plus de précautions que M. Gumplowicz pour se défendre contre les conséquences que « la passion, alliée à l’infamie, » pourrait tirer, si nous l’en croyons, des « connaissances nouvelles » contenues dans son livre ; et vous diriez qu’étonné lui-même ou effrayé de son audace et de la portée de ses découvertes, ce sociologue ne s’admire qu’en tremblant. La raison s’en trouve-t-elle peut-être dans quelque circonstance que nous ne savons point ? En ce cas nous n’avons rien à dire. Mais si peut-être, dans cette aflectation, M. Gumplowicz n’avait cherché qu’un moyen de provoquer la curiosité, nous lui dirons sans aucune flatterie qu’il n’en avait pas besoin. Trop d’intentions, à la vérité, se mêlent ou plutôt s’entre-croisent dans son livre, s’y opposent ou s’y contrarient, qui en rendent la lecture pénible, quand encore et surtout elles n’en obscurcissent pas le principal dessein. Mais toute sorte de questions y sont traitées, ou indiquées, dont le rapport avec la question de race, pour n’être pas d’abord apparent, n’en est pas moins réel, et habilement mis en valeur. Toute sorte d’hypothèses y sont tour à tour critiquées ou suggérées par de bonnes raisons. Toute sorte de paradoxes s’y opposent aux lieux-communs de la philosophie de l’histoire, pour nous inquiéter utilement sur leur solidité. On n’en saurait demander davantage ; et après cela, si M. Gumplowicz, mieux informé, rendait plus de justice à quelques-uns de nos Français, dont les idées, en plus d’un point, sont voisines des siennes, nous n’aurions plus qu’à le féliciter d’avoir écrit son livre, et M. Baye de l’avoir traduit.

Existe-t-il un Règne humain ? ou, pour user ici de la forte expression de Spinoza, dans son Éthique ; « L’homme est-il dans la nature comme un empire dans un autre empire ? » C’est la grande question que se pose d’abord M. Gumplowicz, et, pour la mieux résoudre, il commence par la transformer. Il la divise alors, et