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toujours de concilier tant de nationalités diverses, souvent ennemies, de faire marcher ensemble des parlemens et des ministères différens, avec ces délégations mixtes qui sont censées représenter et maintenir l’unité dans les affaires collectives de l’empire. C’est à Vienne particulièrement, au centre de la monarchie, que tout se complique.

Depuis treize ans déjà, l’habile et invariable premier ministre, le comte Taaffe, a réussi, par sa dextérité et un art supérieur dans le maniement des hommes, à rester le maître de son parlement, à se créer des majorités factices ou même à vivre sans majorité, en se mettant au-dessus ou en dehors des partis. Sa politique est un prodige de souplesse et d’équilibre. Soutenu, il est vrai, par la confiance de l’empereur, il a vécu dans cette fourmilière de nationalités et de partis, manœuvrant avec un sang-froid imperturbable, passant des uns aux autres, tantôt paraissant s’allier aux Tchèques, aux fédéralistes ou aux cléricaux, tantôt se tournant vers les centralistes et les libéraux allemands. Il a failli sombrer plus d’une fois, et s’est toujours relevé ; seulement les crises deviennent de plus en plus aiguës, surtout depuis la disparition des vieux Tchèques qui ont été remplacés au parlement par le parti plus jeune, plus ardent de l’irréconciliabilité et des revendications nationales de la Bohême. Il y a peu de temps encore, le comte Taaffe avait paru se rapprocher des Allemands, qui avaient dans le cabinet un représentant, le comte de Kuenburg ; il avait fait avec eux une sorte de pacte tacite qui lui assurait un semblant de majorité, lorsque tout d’un coup, à la dernière session du Reichsrath, aux derniers jours de novembre, il s’est dégagé lestement, et encore une fois la rupture a éclaté. Le comte de Kuenburg a quitté le ministère, le chef des libéraux allemands, M. de Plener, a rouvert la guerre, le gouvernement s’est même trouvé par suite en minorité dans un vote de fonds secrets. En tout autre pays le ministère se serait retiré devant ce vote ; le comte Taaffe n’en a tenu compte, et, toute réflexion faite, toujours confiant dans sa fortune, il s’est remis à l’œuvre. Il a recommencé à négocier avec tout le monde, avec les représentans des libéraux allemands, M. de Plener, M. Chlumecki, avec un des chefs du parti polonais, M. de Jaworski, avec le chef de la droite, le comte Hohenwarth. Il leur a proposé d’écarter provisoirement, d’un commun accord, les questions irritantes, les discussions de partis, et de ne s’occuper que des affaires les plus pressantes, des intérêts pratiques du pays, sur lesquels il est plus aisé de s’entendre ; malheureusement, cette diplomatie subtile, qui a si souvent réussi, finit par s’user ; elle est percée à jour, et la situation reste visiblement assez précaire à Vienne.

Cette situation, elle n’est peut-être pas meilleure dans l’autre partie de l’empire, à Budapesth. En Hongrie, il est vrai, le régime parlementaire est plus sévèrement, plus strictement pratiqué. Le dernier