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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/490

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484 REVUE DES DEUX MONDES.

que M. Linois était venu me voir, ayant fouillé vainement dans mes paperasses pour y retrouver une note que je désirais lui montrer, je me souvins qu’elle était restée dans une de mes malles. Je passai dans une petite pièce de décharge, où il me suivit. Tout en causant avec lui, agenouillé devant ma malle, j’en soulevai le couvercle, et le premier objet qui s’offrit à sa vue comme à la mienne fut une petite mule, bordée de duvet de cygne, que je croyais à tort avoir enfouie sous un tas de papiers et de chiffons. Les hellénistes sont de tous les savans ceux qui aiment le plus à rire.

— Elle est miraculeusement petite, me dit-il d’un ton gouailleur. C’est vraiment la pantoufle de Gendrillon.

Je me sentais rougir jusqu’au blanc des yeux ; je lui expliquai, en baissant la tête, qu’un jour, en voyage, il y avait cinq ou six ans de cela, j’avais ramassé cette chaussure microscopique dans une chambre d’hôtel où quelque charmante inconnue l’avait sans doute oubliée, et que je la conservais comme une curiosité. Il aurait dû m’en croire, mais non-seulement les hellénistes sont malins, ils croient difficilement.

— Vous allez faire le tour de Paris, reprit-il, cette pantoufle à la main, jusqu’à ce que vous ayez retrouvé le pied mignon, capable de la chausser.

— Qu’Avicenne et Averroès, lui repartis-je, soient servis les premiers ! J’attends pour me mettre à la poursuite de mon inconnue que mon gros livre ait paru.

— À la bonne heure ! s’écria-t-il. Je constate avec plaisir que les philosophes ne sont jamais qu’à demi fous.

Peut-être avait-il raison. Hélas ! c’est assez d’une demi-folie pour faire le malheur d’un philosophe.

Le 1 er avril 1889, Sidonie m’écrivit pour me rappeler ma promesse et m’annoncer que j’étais attendu à Mon-Désir, que ma chambre était prête. Je m’empressai de la remercier et de lui exprimer mon chagrin de ne pouvoir me rendre à sa gracieuse invitation. J’alléguai des affaires pressantes qui me retenaient à Paris, mon livre dont l’impression était commencée, et toutes les raisons que peut donner un homme qui les dit toutes, hormis la vraie. Dans le fait, je n’avais pour le moment d’autre occupation que de corriger mes épreuves, et rien ne m’empêchait de les corriger en Champagne.

Trois jours plus tard, je reçus un billet qui n’était pas de la même main, et qui disait ceci :

« Qu’est-ce donc qu’un bon chien qui ne vient pas quand on l’appelle ? Vous êtes la seule personne à qui je peux tout dire, et j’ai des confidences à vous faire. J’entends vous montrer mon