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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. £85

aimable intérieur et vous expliquer que mes ennuis domestiques ne dépassent pas ce que ma philosophie naturelle peut supporter, et vous savez que je n’en aurai jamais d’autre, la vôtre n’étant pas à l’usage de mon faible cerveau. Sidonie prie et demande ; si forte qu’elle soit en matière de méthodes, ce n’est pas la bonne. Moi, je veux et je commande. Arrivez bien vite ; j’ai besoin de vous voir et de me disputer avec vous. »

Je passai toute une après-midi à arpenter le jardin du Luxembourg et l’avenue de l’Observatoire, allant et revenant cent fois de la statue de Clémence Isaure à la fontaine de Garpeaux, et plus le bon chien réfléchissait, plus il se confirmait dans la résolution de rester où il était. Je commençais à me rétablir, à guérir ; les convalescens doivent se garder des rechutes, qui souvent sont mortelles. J’écrivis le soir à Monique, et je lui signifiai dans un style net et incisif que j’étais dans l’impossibilité absolue de quitter Paris. Je sortis pour porter ma lettre à la boîte ; au moment de l’y mettre, je la remis dans ma poche, et le lendemain matin, j’étais en route pour Ëpernay. De station en station, je chantais la palinodie. Je me disais qu’il faut être bien lâche pour fuir les vains périls, pour se forger des craintes imaginaires, que sûrement Monique avait beaucoup changé depuis son mariage, qu’elle n’était plus telleque je l’avais laissée, telle que je la voyais, que le fantôme adoré s’était évanoui, que je serais tout surpris en me retrouvant auprès d’elle d’avoir été fou ou à demi fou, que mon amour se convertirait en une tranquille amitié, que je reviendrais de là-bas sain et gaillard. Quand on veut savoir les vraies raisons qui font agir un homme, il faut les chercher très près de la nature. La vérité est que j’avais besoin de revoir son visage, d’entendre de nouveau le son de sa voix, comme un homme qui a faim a besoin de manger, comme celui qui a soif a besoin de boire... J’avais donc oublié le vieux poète qui mourait de soif auprès d’une fontaine !

J’avais envoyé une dépêche ; je trouvai à la gare d’Épernay Sidonie et le même break, qui jadis nous avait transportés à Bussigny.

— Je suis un peu jalouse, me dit-elle ; Niquette a décidément plus d’empire sur vous que moi.

— Vous vous trompez ! Je n’attendais pour partir qu’une seconde lettre, et si vous étiez revenue à la charge, vous auriez, comme elle, fait violence à ma sagesse.

— Quoi qu’il en soit, nous vous tenons, nous ne vous lâcherons pas de si tôt. Mais ie vous préviens qu’aujourd’hui je vous garde tout entier pour moi ; vous ne verrez ma sœur que demain.

Contrairement à ses habitudes, M. Brogues était resté le matin à Mon-Désir pour me recevoir. Je ne lui avais jamais trouvé le teint