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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 489

progrès. » Elle avait eu à ce sujet une longue correspondance avec un agronome de l’Institut.

— C’est ma plus grosse dépense, me dit-elle, mais mon père l’a approuvée. Ce poulailler m’a coûté deux mille francs environ. Aussi, vous le voyez, c’est tout ce qu’il y a de plus nouveau, de plus moderne.

— Tranchons le mot, lui dis-je en riant, c’est un poulailler méthodique et vraiment scientifique. Vos œufs en sont-ils meilleurs ?

— Moquez-vous ! Mes œufs sont exquis et mes poules pondent plus souvent. Quoi qu’en puisse dire Niquette, les poules elles-mêmes sentent le prix de la méthode.

Si elle ne m’ennuyait jamais, elle me fatiguait quelquefois. Après la longue promenade qu’elle m’avait fait faire, après les longues explications qu’elle m’avait données, après quatre heures de causerie ininterrompue, je sentais le besoin de prendre un peu de repos. Mais la fatigue est une sensation qu’elle n’avait jamais éprouvée et qu’elle ne comprenait pas chez les autres. Au moment où je me disposais à la quitter pour me retirer quelques instans dans ma chambre :

— Nous avons encore deux heures à nous avant le dîner, me dit-elle. Laissez-moi le temps d’écrire mon menu ; je reviens dans trois minutes, et nous lirons ensemble de l’arabe. Ce sera délicieux.

Je me résignai. Pendant deux heures, nous lûmes et commentâmes le Coran, et comme elle s’y attendait, je m’étonnai de ses progrès.

Cette infatigable égotiste n’était pas une égoïste. Certaine du plaisir que j’aurais à revoir l’abbé Verlet, elle lui avait dépêché un exprès pour l’informer de mon arrivée et l’inviter à dîner. Il ne se fit pas prier pour venir. Entre la poire et le fromage, M. Brogues, qui, tout en faisant grand cas de lui, s’amusait à le taquiner, lui exposa une fois de plus sa théorie sur l’éducation des femmes et sur la nécessité de fortifier leur raison.

— Eh ! oui, dit l’abbé, c’est une bien belle chose que la raison ; encore faut-il savoir la manière de s’en servir, et je connais des gens qui ne s’en servent que pour déraisonner. Croyez- moi, c’est une pauvre espèce que le genre humain. Les vieilles croyances ne sont à vos yeux que des superstitions. Soit ! mais, de grâce, laissez à mes paroissiennes leur bourrelet et leurs lisières. Par quoi les re m placeraient-elles ?

— Par des principes, lui répondit Sidonie avec un sourire olympien, par des connaissances...

— Ah ! mademoiselle, interrompit-il, elles ne sont que trop disposées à en faire de mauvaises.