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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 509

allons l’enfermer ici près, dans votre petit salon, dont nous fermerons la porte pour que les curieux n’entendent rien, et si le cœur leur en dit, ces dames et ces demoiselles iront l’y retrouver une à une.

La motion fut approuvée, et M me Isabelle me dit :

— Croyez- vous qu’elle ira ?

Elle, c’était sa bru. Je fus saisi d’une vague inquiétude. Il me parut que cette affaire avait un air de diablerie propre à séduire l’imagination de Monique, que le bon chien devait monter la garde autour de sa jeune maîtresse, la surveiller et l’avertir. Je la cherchai des yeux, je ne la vis pas. Je traversai le hall dans toute sa longueur, et j’allai me poster en sentinelle près de l’entrée du petit salon.

Après quelque hésitation, et quoique la chiromancienne se fût discréditée par ses bévues, nombre de femmes étaient allées lui montrer leur main. Elle les expédiait en quelques minutes ; mais elle avait, paraît-il, recouvré toute sa clairvoyance, car telle qui était entrée en haussant les épaules semblait émue en sortant. -Ah ! ma chère, disait l’une, elle n’est pas à demi sorcière ; elle m’a raconté des détails que je croyais être seule à connaître. — Une autre souriait agréablement ; on lui avait débité des douceurs et fait de savoureuses promesses. Une autre encore était rouge de colère, et s’écriait : — Quelle insolente !

— Ma foi ! tout bien considéré, je n’y vais pas, dit une jeune fille en rebroussant chemin.

— Et moi j’y vais, répondit une voix argentine.

Je m’élançai entre Monique et la porte, et je lui dis tout bas :

— Voulez-vous m’être agréable ? N’en faites rien.

Elle parut hésiter, mais je commis une imprudence ; je murmurai à son oreille la sentence que Sidonie aimait à répéter et qui lui servait de devise : Défie-toi et défends-toi I

— Ah ! toujours et toujours Sidonie ! Qu’elle garde pour elle sa sagesse ! J’entre.

Et elle entra.

Ce qui se passa entre elle et la sibylle, je l’appris d’elle-même dès le lendemain. En la voyant paraître, la femme masquée fit un geste de surprise ; mais j’imagine qu’elle fut moins surprise que contente, qu’elle éprouva la même joie que peut ressentir un pêcheur quand le poisson s’engage dans son filet. Elle s’avança à sa rencontre, la fit asseoir dans un fauteuil, se mit à trottiner autour d’elle, la regardant tour à tour de face, de trois quarts, de profil et toujours de fort près, si bien que Monique perdit patience et lui demanda ce que signifiaient toutes ces simagrées.

— Ne vous fâchez pas, mon agneau, répondit-elle humblement.