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510 REVUE DES DEUX MONDES.

Si je vous regarde de si près, c’est qu’avec vous il faut prendre ses précautions et lire dans les yeux avant de lire dans la main. Dieu ! qu’elle est petite, cette main, et que de lignes qui se croisent et s’entre-croisent ! C’est un vrai grimoire. Mais, par exemple, il y a quelque chose qui me paraît clair : vous aurez une existence fort agitée, et ce n’est pas étonnant, car vous êtes aussi vive que vous êtes jolie... Ma poulette, un jour ou l’autre, deux hommes se couperont la gorge pour vous.

— En voilà assez, madame la sorcière ! Vous figurez-vous que je prenne au sérieux vos grimaces et vos prophéties ?

— Demandez pourtant aux petites dames qui m’ont fait l’honneur de venir causer avec moi si je ne leur ai pas dit certaines choses qu’elles croyaient que personne ne savait !

— C’est possible. Vous allez aux nouvelles, vous vous informez, vous espionnez, vous rôdez et vous furetez dans les offices, vous interrogez les valets de pied, les cochers, les marmitons. Voilà le fond de votre science.

— Ta, ta, ta, c’est ainsi que vous le prenez ? Voulez-vous, ma fille, que je vous raconte toute votre histoire, depuis votre naissance jusqu’aujourd’hui ?

— Gardez-vous-en bien, ce serait trop long. Dites-moi seulement ce qui m’est arrivé l’an dernier peu avant mon mariage, et je vous tiens quitte du reste.

— Écoutez-moi de vos deux oreilles, répliqua-t-elle d’un ton mystérieux. Est-ce un groom qui m’a appris qu’un jour de l’été dernier, vous vous êtes promenée dans un souterrain tête à tête avec un jeune homme ? Est-ce une cuisinière qui m’a assuré qu’il vous fit une déclaration d’amour ? Est-ce un marmiton qui l’a vu ramasser une fleur tombée de votre corsage ? C’était, je crois, un œillet. Et puis, jeune incrédule, moquez-vous de ma science !

Monique s’était levée vivement et se dirigeait déjà vers la porte. Par malheur, elle s’arrêta à mi-chemin, et se retournant :

— Je commence, bonne femme, à savoir qui vous êtes... Le connaissez-vous, ce jeune homme ? Pourriez-vous me dire son nom ?

— Je ne connais pas les noms, mais je connais les cœurs, et je puis vous affirmer qu’il était passionnément amoureux de vous, qu’il ne désirait rien tant que de vous épouser.

— Et dit-on dans les cuisines qu’il ait jamais demandé ma main ?

— Il n’a pas osé.

— Je vous en crois sans peine. Il est si timide !

— Ah ! ma bonne dame, il avait chargé sa sœur de s’informer si M me votre mère agréerait sa demande, et M me votre mère a fait entendre qu’elle y était peu disposée. Il a de l ’amour-propre, et