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522 REVUE DES DEUX MONDES.

XIX.

Le jour suivant, mon premier soin fut de tout raconter à Sidonie.

Elle avait promis à M me Isabelle de lui prêter un livre très moderne sur l’éducation des lapins, et elle se proposait de le lui porter en personne dans l’après-midi. Si je l’avais laissée faire, elle se serait brouillée à jamais avec sa sœur. Elle était revenue de Saint-Martin persuadée que le baromètre était au beau, qu’on ne demandait pas mieux que de s’entendre et de vivre en paix. Ce que je lui appris l’émut beaucoup et l’indigna. Malgré ses préventions, elle rejeta tous les torts sur la douairière, déclara que sa conduite avait été révoltante, que cette femme, qui donnait à tout le monde des leçons de convenances, les avait odieusement violées. Elle ne songeait plus à lui prêter son livre ; elle pensait seulement à faire une démarche pour raccommoder les affaires. Elle avait une telle confiance dans son ascendant personnel, dans son autorité, qu’elle se croyait de force à calmer Monique et à ménager une réconciliation entre la bru et la belle-mère, en déterminant l’Anglaise à faire les premiers pas. J’eus de la peine à combattre son illusion, à la détourner de son dangereux projet ; j’y réussis cependant, ou du moins elle me promit de surseoir à l’exécution, comme on dit au palais.

Dès que j’eus fait entendre raison à l’une des sœurs, je courus chez l’autre. Je m’imaginais qu’une si violente tempête n’avait pu se dissiper dans l’espace d’une nuit, que le tonnerre continuait de gronder sourdement à l’horizon. Je me trompais, et franchement j’aurais mieux aimé ne pas m’être trompé. Je trouvai Monique dans un déplorable état d’esprit, dans un de ces momens de sa vie où, redevenue maîtresse de ses nerfs, elle débitait sans s’émouvoir de monstrueux aphorismes, des insanités qu’elle prenait pour des axiomes, pour les vérités les plus certaines, les plus évidentes et les plus simples du monde. Dans le temps déjà elle m’avait déconcerté plus d’une fois par ses crises subites de démence tranquille, et je ne m’étais tiré d’affaire qu’en lui disant qu’elle était folle à lier, à quoi elle avait répondu que les vrais fous ne sont pas ceux qu’on enferme, mais ceux qui les gardent.

— Eh bien, me dit-elle en riant, qu’avez- vous pensé de cette jolie scène ? J’ai été sotte, je me suis tâchée. On ne se fâche pas, on cause avec sa cornette, on l’interroge et on suit religieusement les conseils qu’elle vous donne.

— Que vous a-t-elle conseillé ? lui demandai-je.

— De faire tout le contraire de ce que j’ai fait jusqu’aujourd’hui.