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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 521

faute, c’est un malheur. Mais enfin je trouve qu’une jeune femme, dont la mère s’est fait enlever un soir par je ne sais qui, devrait s’estimer heureuse de vivre avec une vieille Anglaise qui lui donne quelquefois de petits avertissemens.

Monique s’était levée, et le visage en feu :

— Je vous défends de mêler ma mère dans vos accusations et dans nos querelles. Vous n’en avez pas le droit, et vous m’entendez, je vous le défends.

M me Isabelle posa délicatement son chat sur le parquet, et se redressant à moitié, elle répondit d’un ton sardonique :

— Vous ne connaissez pas la constitution de mon pays. Tout Anglais est maître chez lui, et toute Anglaise aussi est maîtresse chez elle. Si j’étais chez vous, vous pourriez me commander de me taire ; mais je suis dans mon salon, et tant que je serai dans mon salon, je prétends y dire tout ce qu’il me plaira.

— À la bonne heure, restez-y, s’écria Monique, vous ne m’y reverrez jamais.

Et elle sortit en courant. Pendant cette terrible passe d’armes, M. Monfrin était demeuré silencieux, immobile ; on ne pouvait deviner qu’au mouvement convulsif de ses mains le trouble de son esprit et les cruelles émotions qui lui déchiraient le cœur.

— Vous avez été bien dure, ma mère, lui dit-il en s’approchant d’elle. Vous avez offensé ma femme par d’injurieux soupçons, et je tiens à déclarer en présence de M. Tristan que je suis loin de les partager, que je la respecte autant que je l’aime.

— Que le bon Dieu vous bénisse, mon cher garçon ! répliquât-elle. Vous vous préparez d’agréables surprises.

Le champ de bataille lui était resté, et grisée de sa victoire, ce fut d’un ton triomphant qu’elle me dit :

— Monsieur Tristan, c’est pourtant vous qui les avez mariés. A votre place, j’en aurais quelque regret ; vous avez donné une femme bien vive à un homme bien tranquille.

— Madame, lui repartis-je, s’il était vrai que je fusse pour quelque chose dans ce mariage, je me reprocherais d’avoir donné à une jeune femme, à laquelle je suis profondément attaché, une belle-mère qui a si peu d’égards pour la délicatesse de ses sentimens et pour sa juste fierté.

Et l’ayant saluée, je partis. M. Monfrin me suivit de près et me rejoignit sur la terrasse ; il avait hâte d’aller retrouver sa femme et d’apaiser ce cœur qui ne se possédait plus.

— Vous ne gagnerez rien sur elle ce soir, lui dis-je ; il est encore trop tôt. Attendez jusqu’à demain.