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de tout genre. D’ailleurs, dans cet air si salubre, point n’est à craindre qu’ils attrapent un rhume… Cela ne vous va pas ? Je vous quitte alors et m’en vais en enfer ! .. »

Avez-vous remarqué l’allusion aux indulgences qui payaient les frais de la nouvelle église ? Et ce trait part de Milan, de ce côté des Alpes, à l’adresse de Jules II déjà, avant toute thèse de Luther ! .. Cent cinquante ans plus tard, voici comment s’exprimera à ce sujet un jésuite, un cardinal, l’illustre historien du concile de Trente, Sforza Pallavicini : « Cet édifice matériel de Saint-Pierre a détruit une grande partie de son édifice spirituel. Pour se procurer les millions prodigieux qu’exigeait une construction si énorme, on a dû recourir à des moyens qui ont donné la première occasion à l’hérésie de Luther et infligé à l’Église, dans la suite, la perte de tant de millions d’âmes. »

Au prix de quel déchirement, dans la grande famille chrétienne, allait s’élever le temple dont Jules II vint poser la première pierre, le samedi in albis 1506 !

Il vint en procession solennelle, accompagné de trente-cinq cardinaux. Après une messe du Saint-Esprit, célébrée par le cardinal Francesco Soderini, le Rovere s’approcha d’une fosse large et profonde « et qui ressemblait à un vrai précipice : » elle a été creusée à l’endroit où se dresse maintenant, sous la coupole, la statue de sainte Véronique. Le vieillard au corps usé et à l’âme de fer descendit par une échelle dans cette fosse : « Et comme tout le monde craignait un éboulement, dit Paris de Grassis, le pape cria à ceux d’en haut de ne pas trop s’avancer sur les bords. » Les médailles et inscriptions d’usage furent déposées ; et, après avoir consacré les fondemens, Jules II remonta.

Ceci se passait le 18 avril 1506 ; la veille, le 17, Michel-Ange s’était enfui de Rome ! .. Irrité, desespéré, pris de terreurs inexplicables, il partit tout à coup et clandestinement, laissant là son studio, ses blocs de marbre et le monument fatidique, qui, pendant bien des années dans la suite, projettera encore son ombre sur la carrière douloureuse de l’artiste. Cette tombe, devait dire plus tard Buonarroti, a été la tragédie de sa vie. Elle fut peut-être bien aussi la tragédie de la renaissance et du catholicisme.


II. — L’ANCIENNE BASILIQUE.

En traversant ce matin, sous un soleil brûlant, la place de Saint-Pierre, j’en voulus plus que jamais à l’empereur Henri IV d’avoir détruit, pendant le siège de 1083, l’imposant portique qui, jusqu’au temps de Grégoire VII, avait relié la basilique du Vatican au