Si, pour le grand nombre des Juifs, la Palestine ne peut redevenir une patrie territoriale qui leur rende une vie nationale indépendante, le judaïsme ne peut-il continuer à leur tenir lieu de patrie ? Alors même qu’il ne serait plus qu’une religion, le judaïsme en effet garderait toujours cette particularité d’être une Église dont les membres croient descendre du même père et se considèrent comme frères par le sang. De là, chez les Juifs, une solidarité sans pareille dans toute autre religion. De là, jusque chez les plus sceptiques, une tendance à faire prédominer le lien religieux sur le lien national, car, pour eux, le lien religieux est identique au lien de race, — à se regarder comme Juifs avant de se regarder comme Français, Anglais, Allemands. De là, enfin, cette sorte de cosmopolitisme qui permet à tant d’entre eux de passer sans déchirement d’un pays à un autre, cette aisance de cœur à s’acclimater partout où ils peuvent dresser leur comptoir ou leur banque. Car, au particularisme national, tend à succéder, chez nombre de Juifs, une sorte de cosmopolitisme international qui s’allie parfois avec l’ancien particularisme et qui, au fond, a le même principe. Tandis que le vieux Juif orthodoxe, confiné dans ses rites et ses souvenirs, ne connaissait guère d’autre patrie que Jérusalem, le Juif civilisé d’Occident est enclin à considérer le monde comme un domaine à exploiter, s’inquiétant médiocrement du sort des provinces et des empires qu’il traverse, ayant toutes ses pensées égoïstes tournées vers ses intérêts personnels et tout ce qui lui reste d’instincts généreux tournés vers les intérêts du judaïsme, de cette antique et vaste confrérie dont, à travers toutes ses transformations, le Juif se sent toujours membre. Israël continue à ressembler au vif-argent, à cet étrange métal liquide dont les gouttelettes toujours en mouvement courent en tous sens, sans se mêler à rien de ce qui les entoure, pour se réunir et se fondre ensemble dès qu’elles se rencontrent.
À tout cela, que de choses à dire ! C’est toujours même histoire : le Juif a été formé par le passé que nous lui avons fait. Sa solidarité persistante, son apparent cosmopolitisme sont en grande partie notre œuvre. Sans les humiliations et les vexations qui les ont tenus étroitement blottis les uns contre les autres, le lien de race des Sémites se serait rompu ou relâché. Ce que pèse, à la longue, la parenté d’origine, nous pouvons le voir par nos querelles de famille, par les guerres de dynasties maintes fois apparentées, par les luttes intestines de tant de nations des deux mondes, par les jalousies de tribus qui ont si souvent mis aux prises des peuples