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contesté. Nous avons même assez de confiance dans le patriotisme de nos adversaires économiques pour être certain qu’ils ne peuvent prétendre à la destruction de cet élément indispensable à la vie d’une nation qu’on appelle « le commerce. »

Le canal de jonction du Rhône à Marseille et l’utilisation de l’étang de Berre ne sont pas des œuvres d’un intérêt local et limité ; elles visent des intérêts essentiellement généraux. Leur exécution contribuerait non-seulement à sauvegarder l’existence de notre commerce franco-méditerranéen, c’est-à-dire de la plus large part du commerce français, mais encore ceux de l’agriculture ; elle rendrait la vie à toute une région, absolument déshéritée et qui tend à se dépeupler de plus en plus, malgré les avantages incontestables dont la nature l’a douée et dont les générations qui nous ont précédés se sont obstinées à ne pas tirer parti.

Si je ne présume pas trop de mes forces, je voudrais essayer de prouver que la situation critique, bénévolement créée à notre commerce, impose aux moins clairvoyans des devoirs nouveaux, car il est vraiment étrange qu’on ait choisi, pour revenir aux doctrines du protectionnisme, le moment où tous les peuples voisins en ont reconnu les désastreux effets, les ont abandonnées et se sont liés entre eux par des traités à longue échéance. Cette révolution économique n’a-t-elle pas été opérée d’une façon irréfléchie ; ne nous a-t-elle pas surpris d’autant plus que, faute de prévision et d’esprit d’initiative, nous n’avons su utiliser les ressources que nous avions en mains, tandis que nos concurrens, cependant moins favorisés, nous ont devancés en mettant en jeu tous leurs moyens d’action ?


I

Ainsi qu’on l’a dit souvent, les fleuves sont une pénétration des mers dans l’intérieur des terres, comme ils servent aussi de chemin naturel vers elles ; ils continuent la route de mer, et le rôle de la navigation intérieure soit sur les fleuves, soit sur les rivières, soit sur les canaux, ne doit être que le prolongement de la voie maritime.

Les peuples anciens, Phéniciens, Grecs, Carthaginois et Romains eurent soin de choisir, pour fonder leurs comptoirs, les larges estuaires. Plus tard, les grandes artères fluviales qui sillonnent les deux Amériques ; le Saint-Laurent, le Mississipi, le Paraguay, facilitèrent la transformation du Nouveau-Monde. De même aujourd’hui, le Sénégal, le Niger, le Congo, le Zambèze, sont les meilleurs auxiliaires que rencontrent les nations européennes dans leurs tentatives d’appropriation et de mise en valeur du continent africain.