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bâtir des jetées quelque peu stables. Mais ce qui est bien préférable, comme le dit l’honorable rapporteur, c’est de poursuivre les études du port de Bouc et surtout l’approfondissement de ce magnifique étang de Berre, pour en faire une petite mer intérieure, en un mot, une des plus belles nappes d’eau que possédera la France sur le littoral méditerranéen. »

L’honorable rapporteur a oublié de mentionner qu’en 1844, sur l’initiative du prince de Joinville, les ingénieurs de la marine s’occupèrent de l’étang de Berre. Le prince avait repris les études de Napoléon Ier, mais la révolution de 1848 y mit forcément un terme.

En 1865, le général de Ghabaud-Latour disait, en parlant de la transformation du matériel naval et des modifications apportées dans la défense des côtes et l’outillage maritime : « Si les grands établissemens qui existent à Toulon étaient situés sur l’étang de Berre, ils seraient à l’abri de tout danger. » Que dirait-il aujourd’hui ?

Cependant, bien que, dans ces dernières années, mon honorable collègue, M. Leydet, ait porté deux fois la question à la tribune de la chambre ; bien qu’il la signale encore aujourd’hui dans son rapport sur le ministère du commerce, bien que M. le commandant Sibour, un de nos officiers de marine qui connaissent le mieux le littoral de la Méditerranée, se soit fait l’apôtre chaleureux de la transformation de l’étang de Berre, malgré l’opinion du général marquis de Laplace, de Michel Chevalier, de l’amiral comte de Boüet-Willaumez, de l’amiral Krantz, du prince de Joinville, du général de Chabaud-Latour, de Bonaparte, de Vauban et de Louis XIV, l’État s’est borné à établir à travers l’étang de Caronte, entre l’étang de Berre et la mer, un canal maritime de 6 mètres de profondeur, mais dont l’entrée est toujours gênée par des rochers sous-marins. Et la flotte commerciale moderne, en raison de ses dimensions, ne peut toujours pas utiliser l’étang de Berre comme port de refuge !

N’est-ce pas là une négligence coupable et manifeste ? On ne se demande donc pas ce que deviendraient les ports de Marseille, les navires et les marchandises qui y sont accumulés, si la fatalité amenait un conflit maritime ? Ainsi que l’ont prouvé les dernières manœuvres navales, il suffirait qu’un croiseur ennemi trompât la vigilance de la flotte française, pénétrât dans le golfe et lançât quelques obus sur Marseille, pour que docks et bâtimens fussent incendiés en quelques heures avec tout ce qu’ils contiennent, et qu’il en résultat des dommages irréparables. Les récens perfectionnemens des engins de destruction et la portée sans cesse croissante des pièces d’artillerie exposent la ville à des dangers que les forts de la rade seraient impuissans à conjurer. Aussi l’étang de Berre ne serait pas seulement pour la flotte commerciale un bassin