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IV

À y bien réfléchir, on aurait déjà pu soupçonner que la société où est né le chant épique avait derrière elle un long passé, un passé très rempli. Il faut du temps, beaucoup de temps, pour que les personnages prennent dans l’imagination populaire cette grandeur surhumaine que leur attribue la poésie ; ce n’étaient pas leurs contemporains que les aèdes célébraient sous les noms d’Agamemnon et de Ménélas, d’Achille et de Diomède, d’Ajax et d’Ulysse. Dans le récit de cette guerre qui jette contre les remparts d’une puissante cité de l’Asie toutes les forces de la Grèce continentale et insulaire, dans celui de ces courses qui conduisent les héros d’île en île jusque sur les côtes de l’Egypte, il devait y avoir, plus ou moins altéré par les incertitudes et les caprices de la tradition orale, le souvenir de lointaines expéditions militaires, des mouvemens et des aventures de bandes armées qui auraient jadis promené leur humeur inquiète sur tous les rivages de la Méditerranée. C’est là, dans ces migrations et ces campagnes, dont quelques épisodes seuls avaient échappé à l’oubli, que les héros achéens, fils des dieux, ont conquis cette renommée dont les derniers échos viennent retentir dans les vers d’Homère. La plus ancienne Grèce que connaisse l’histoire, la Grèce du IXe et du VIIIe siècle, n’est plus en relation avec l’Egypte ; l’Egypte restera en dehors de son horizon, jusqu’au moment où, dans le cours du VIIe siècle, les Ioniens entreront au service des Pharaons de la XXVIe dynastie, qui règnent dans la Basse-Egypte ; mais Thèbes, la capitale des Toutmès et des Ramsès, est mentionnée dans l’Iliade ; mais l’Odyssée conduit Ménélas et Ulysse sur les plages du Delta ; mais d’autres traditions, aussi anciennes que celles qui ont été recueillies dans l’épopée, témoignent de rapports fréquens entre le Péloponnèse et l’Egypte.

Homère vante la richesse d’Orchomène et de Mycènes ; n’était-ce pas le cas de se demander d’où provenaient ces trésors dont l’éclat semble éblouir l’esprit du poète ? La guerre sans doute et le pillage en étaient une des sources. C’étaient de vrais rois de mer que les chefs de ces Minyens qui avaient les premiers franchi l’Hellespont à la poursuite de la Toison d’or, que ces Pélopides qui, originaires de l’Asie, avaient étendu leur domination sur tout le Péloponnèse et les îles voisines. Mais la guerre et le pillage ne suffisent pas à fonder une prospérité durable ; on était fondé à supposer qu’Orchomène avait dû la sienne surtout au dessèchement du lac Copaïs et