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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/663

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UNE HISTOIRE INACHEVÉE. 657

Dès qu’il eut parlé, la jeune fille s’avança vers lui très vivement, passa son bras sous le sien et lui prit la main. Étonné de cette démonstration affectueuse, il l’attira un peu plus près de lui, et doucement :

— Vous êtes fatiguée, n’est-ce pas ? Je venais vous dire que lady Arbuthnot s’en va ;., elle vous attend.

Tandis qu’ils se tenaient là tous les deux, à côté l’un de l’autre, Gordon fut frappé de leur beauté. Oui, certes, ils étaient appareillés à merveille. Avant de franchir la porte-fenêtre, lord Arbuthnot se retourna pour admirer encore le jardin embaumé, le ciel nocturne où la lune paraissait lutter contre l’éclairage resplendissant de Londres. >

— Gomme ce petit coin est charmant et tranquille ! On regrette de le quitter, dit-il. Bonsoir, M r Gordon, et merci pour votre histoire.

Le pied sur le seuil, il s’arrêta de nouveau, se mit à rire :

— Savez-vous pourtant que je vous soupçonne d’avoir fait tout juste ce que vous reprochiez à Phillips ? 11 m’a semblé que vous brodiez un peu... Soyez franc... L’histoire vraie s’est-elle passée bien exactement comme vous l’avez contée ? Non, n’est-ce pas ? A moins que je ne me trompe...

— Vous ne vous trompez pas, interrompit Gordon, j’ai changé un détail.

— Et lequel, s’il vous plaît ?

— L’individu n’est pas mort.

Lord Arbuthnot poussa un soupir de sympathie.

— Pauvre diable ! dit-il, pauvre malheureux garçon !

De sa main gauche il toucha la main de la jeune fille appuyée contre lui, comme pour se rassurer sur sa propre bonne fortune. Puis il leva vers Gordon des yeux perplexes.

— Mais, reprit-il très intrigué, s’il n’est pas mort, comment se fait-il que vous possédiez cette chaîne ?

Le bras de sa fiancée tressaillit légèrement et les doigts menus se crispèrent davantage sur la main qu’ils serraient.

— Oh ! répondit Gordon avec indifférence, il n’y tenait plus du tout ayant découvert que cette femme était perdue pour lui, et elle, de son côté, ne pouvait s’en soucier. Gela n’a aucune valeur... cela ne représente rien pour personne... excepté peut-être pour moi.

R. Harding Davis.

(Traduction de Th. Bentzon.)

tome cxv. — 1893. 42