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aussi préoccupés de leurs embarras, de leurs crises intimes que de leurs relations. Ce n’est point sans doute qu’il y ait rien de changé dans ces relations, dans les conditions diplomatiques que les événemens ont créées en Europe. Ces conditions, on le sait bien, tiennent à des causes trop profondes pour se modifier du jour au lendemain. Elles demeurent ce qu’elles sont, et l’on finit par s’y accoutumer comme à un mal chronique, — ou si l’on en est distrait par toute sorte de diversions intérieures, il suffit parfois d’un incident ou d’un discours pour raviver le sentiment de l’instabilité des rapports généraux du continent. M. le chancelier d’Allemagne s’est cru tout récemment obligé de jeter un nouvel avertissement au milieu des préoccupations du moment, en passant encore une fois, devant une commission parlementaire, la revue des forces et des alliances de l’Europe. Il est vrai qu’il avait une raison de circonstance ; il avait à faire accepter une loi militaire qui impose à l’Allemagne des charges nouvelles, et ce n’est pas sans peine, ce n’est pas sans faire jouer tous les ressorts du patriotisme, de l’intimidation, du sentiment conservateur qu’il peut espérer rallier une majorité pour sa loi. C’est peut-être l’excuse de ses hardiesses dans un discours qui ressemble un peu à une dissonance dans l’état généralement pacifique de l’Europe. Toujours est-il que, pour la nécessité de sa cause, M. le chancelier de Caprivi n’a point hésité à dérouler devant la commission du Reichstag le tableau d’une situation faite pour émouvoir les imaginations allemandes. Que le représentant de l’empereur Guillaume II ait cru devoir, depuis, laisser démentir ou atténuer certaines parties du discours qu’il a prononcé dans l’intimité d’une commission, c’est possible. Ce qu’il y a d’essentiel, de caractéristique dans ses déclarations ou ses explications ne subsiste pas moins.

Il a usé d’un procédé qu’il a recueilli de M. de Bismarck ; il s’est donné toute liberté et il n’a pas craint d’aller, dans sa hardiesse, jusqu’à des révélations ou des aveux qui peuvent paraître un peu singuliers, qui ne sont pas, dans tous les cas, à ce qu’il semble, d’une diplomatie bien adroite ou bien prudente. Il s’est servi d’une arme que son redoutable prédécesseur a pu manier impunément, parce qu’il puisait dans vingt-cinq ans de succès le droit de tout dire, mais dont on ne se sert pas toujours sans se blesser. M. de Caprivi avait déjà parlé de cette situation diplomatique et militaire où l’Allemagne, seule avec ses forces, tout au plus avec les forces de ses alliés, aurait à faire face de deux côtés à la fois, du côté de la Russie et du côté de la France. Il y est revenu, cette fois, en y insistant et même en y ajoutant, en représentant la Russie et la France comme déjà liées par des conventions militaires. Ces conventions existent-elles réellement ? M. de Caprivi le croit et le dit. Il ne s’en est pas tenu là, il est allé plus loin. Il a laissé