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preuve que notre étonnement vient d’un défaut d’éducation et non d’une impossibilité physique, c’est que certaines phases très lentes de la marche au pas nous échappent, tandis que certaines autres plus rapides du trot d’un cheval ne nous échappent pas. Les premières sont celles qui ne fournissent pas à l’esprit l’idée du mouvement, celles qui se confondent avec les attitudes d’immobilité et que par conséquent l’esprit n’a pas d’intérêt à remarquer. Les secondes, au contraire, nous avertissent de l’allure du cheval, et comme elles nous sont utiles, notre esprit fait effort pour les enregistrer.

Cette thèse, remarquablement exposée par M. Jacques Passy au cours de ses intéressantes recherches sur le sujet qui nous occupe, contient une grande part de vérité ; mais elle ne tend point à démontrer que les artistes doivent se soumettre aux enseignemens des chronophotographes. Tout bien considéré, les rapports découverts entre le dessin des Grecs et les épreuves de la photographie instantanée se réduisent à ceci : on a trouvé, sur des vases étrusques, des coureurs dont la pose fort surprenante, et depuis longtemps oubliée, reproduit assez exactement la photographie du coureur prenant son élan. De ce fait, qui semble à quelques-uns favorable aux prétentions de la science, je tire une déduction tout opposée. D’abord, les Grecs n’ont pas adopté cette attitude sur leurs grands monumens, sur leurs frontons, leurs frises, leurs métopes ; mais là où toute licence était permise à leurs peintres de genre : sur la panse de leurs amphores. Ensuite, si, ayant connu ces poses, ils les ont abandonnées, s’ils en ont laissé perdre la tradition, n’est-ce pas une marque évidente qu’ils ne les ont pas trouvées dignes de mémoire, et ainsi, loin d’être un témoignage de leur admiration, ce fait n’est-il pas plutôt un signe de leur dédain ?

Reste l’argument tiré des chevaux du Parthénon. On dit qu’eux aussi, ils galopent selon les règles les plus récentes de la photographie instantanée, que, dans tous les cas, ils s’en rapprochent plus que les chevaux qu’on a vus depuis courir sur toutes les Irises du monde ou se cabrer au-dessus d’une bataille lointaine, parmi la fumée et les éclairs. Cela est vrai[1]. Mais autant il est

  1. Voir la première collection de M. Muybridge, 1881 : la jument Phryné au grand galop, planche 154. Comparer les chevaux de la frise ouest du Parthénon, actuellement au British-Museum, portant dans l’atlas de Michaelis les n° 2 et 3, et le cheval de la frise nord, actuellement à l’Acropole, portant le n° 96, puis les chevaux de la frise ouest, portant les n° 15 à 20, d’une part, avec, d’autre part, la jument Florence, planche 39, première collection Muybridge, photographies 7 et 8 ; la jument Phryné ; planche 40, photographies 7, 8 et 9 ; puis la jument Hattie au grand galop, planche 38 ; enfin, dans la seconde collection Muybridge, diverses poses de galop.