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des siècles, habitaient les plaines et les vallées méridionales de la péninsule hellénique ; mais, tandis que ceux-ci s’adonnaient à la navigation, au commerce et à l’industrie, les Doriens n’avaient pas cessé d’être des montagnards ; ils avaient vécu surtout parmi les forêts de l’Olympe et de l’Ossa, de l’Œta, du Pinde et du Parnasse. Ce n’étaient pas des barbares, puisque le culte d’Apollon était chez eux en honneur ; mais ils avaient conservé, sous un climat plus dur que celui des plages tièdes de l’Argolide et de la Laconie, une énergie native et une humeur belliqueuse qui en faisaient des soldats redoutables. Sans prendre ces comparaisons au pied de la lettre, on peut dire que les Doriens étaient aux Grecs policés du monde mycénien à peu près ce que les Albanais d’aujourd’hui sont aux sujets du roi George ; on s’explique le caractère et les suites de l’invasion dorienne par ce que l’on sait de ces invasions d’Albanais qui, plusieurs fois pendant le cours des trois derniers siècles, ont promené le fer et la flamme à travers la Grèce centrale et la Morée, y ont livré les meilleures terres à des bandes de Guègues et de Toskes, puis ont fini par y fonder ces villages où, comme à Eleusis et à Menidi, tout près d’Athènes, on parle maintenant encore la langue des Skypétars.

D’après les chronographes grecs, ce serait dans les dernières années du XIIe siècle avant notre ère que les Doriens, conduits par les petits-fils d’Héraclès, après avoir inutilement essayé de forcer les défilés de l’isthme, auraient franchi, sur des radeaux, près de Naupacte, le golfe de Corinthe et pris pied dans le Péloponnèse. Ils s’engagèrent ensuite dans l’intérieur du pays, pour marcher d’abord contre cette Argolide qui était la patrie du héros dont leurs chefs se portaient les héritiers ; mais on ne sait rien ou presque rien des péripéties de la lutte que les anciens maîtres du sol soutinrent contre les envahisseurs. Dans certains endroits, les Achéens composèrent avec l’ennemi et lui cédèrent sans combat une partie des terres ; c’est ce qu’on nous apprend de Phlionte ; ailleurs, ils se défendirent de leur mieux. Plusieurs de leurs forteresses, celles de Tirynthe, de Mycènes et d’Argos, étaient assez fortes pour arrêter un agresseur qui n’avait pas l’habitude des sièges ; ceux-ci durent souvent tourner en blocus. La persistance obstinée des Doriens finit cependant par leur assurer une situation prépondérante sur toute la côte est et sud du Péloponnèse, depuis la Mégaride jusqu’à la Messénie. Ceux des Achéens qui n’acceptèrent pas la suprématie des vainqueurs se replièrent sur la côte septentrionale, qui avait été jusqu’alors habitée par des Ioniens. Ceux-ci durent céder la place et se réfugièrent en Attique.

À la distance où nous sommes d’événemens sur lesquels ne nous