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renseigne aucun témoignage contemporain, comment évaluer les effets de cette invasion, des violences et des destructions que ne manqua pas d’entraîner une poussée si forte et si longtemps prolongée ? En tout cas, on ne saurait douter que toutes ces collisions et expulsions n’aient eu pour résultat un arrêt momentané ou plutôt un recul de la civilisation. Quand les Doriens parcoururent le Péloponnèse, coupant les arbres fruitiers, prenant d’assaut les citadelles ou en réduisant les défenseurs à la famine, il y eut interruption forcée des rapports directs ou indirects qu’entretenaient avec la Phrygie, la Carie et la Lycie, avec la Phénicie et l’Egypte, des villes qui se targuaient d’avoir été fondées par des héros venus des plages orientales. La suppression ou, tout au moins, le ralentissement du commerce maritime privait brusquement de modèles et de maintes matières premières une industrie qui était en train de s’élever jusqu’à l’art, qui y touchait déjà dans certains de ses produits. Loin de poursuivre ses progrès, elle dut languir partout et, sur plus d’un point, tomber très bas. C’étaient les princes achéens qui lui fournissaient, pour les transformer en armes richement ornées, en vases et en bijoux, les métaux précieux qu’ils gardaient dans les trésors de leurs citadelles ; mais, dès que ces princes se sentirent menacés, il leur fallut consacrer toutes leurs ressources à repousser cet ennemi qui devenait d’année en année plus redoutable ; puis, après avoir consommé leurs réserves, ils finirent par prendre le chemin de l’exil ; avec eux se dispersèrent les maîtres ouvriers qui s’étaient formés à leur service.

Ce fut là pour la Grèce le commencement d’une période qui n’est pas sans analogie avec notre moyen âge. Comme lui, elle est comprise entre une série de siècles où le progrès avait été constant et une renaissance où l’industrie et les arts, après avoir paru stationnaires, reprennent leur marche ascendante. L’âge mycénien est à cette période ce que l’antiquité classique est au moyen âge chrétien. Ce qui correspondrait, pour la Grèce, à ce que nous appelons, pour l’Europe occidentale, les temps modernes, ce serait l’époque qui s’ouvre, vers le IXe siècle, par l’apparition des grands poèmes épiques et qui se continue, à bref intervalle, par le rapide et brillant développement de la plastique. Dans la Grèce des premières olympiades comme dans la France et l’Italie du XVe siècle après Jésus-Christ, des modèles de provenance étrangère ont beaucoup contribué à réveiller les esprits et à leur imprimer une secousse qui leur rendit la liberté de leurs mouvemens et l’élan de l’invention féconde ; mais, les deux fois, l’activité qui reprenait son cours utilisa, pour le nouveau travail de création où elle s’engageait, certains des élémens de la civilisation antérieure.