Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toi aussi, tu as vu Domrémy dans ta suprême vision. Cette source, dont les témoins ont tant parlé, s’est montrée à tes yeux dans la rosée du matin. Mais ni la rosée, ni l’aube bénie ne pouvaient enlever de sa surface souillée les traces brillantes d’un sang innocent. Près de cette fontaine, tu as vu, évêque, une femme assise qui se cachait la figure. Mais, comme tu approches, cette femme lève vers toi sa face ravagée. Domrémy pourrait-il reconnaître en elle les traits de l’enfant qu’il a connue autrefois ? Non, mais toi, évêque, tu les reconnais bien.

« Grand Dieu ! quel gémissement ont entendu les valets qui, en dehors du rêve de l’évêque, veillent près du lit où repose sa grandeur ? Il sort du cœur anxieux de leur maître, qui, à ce moment, fuit la fontaine et la femme et cherche un refuge dans les forêts lointaines. Mais cette femme, il ne saurait l’éviter de cette façon ; il doit, avant qu’il meure, la voir une fois encore. Dans les forêts, où il va chercher la pitié, pourra-t-il trouver un instant de répit ? Non, car un bruit de pas vient l’y relancer encore ! Dans les clairières où, seuls, les cerfs devraient courir, passent des armées et s’assemblent des nations… Mais quelle est donc cette charpente que des mains humaines dressent avec tant de hâte ? Est-ce l’échafaud d’un martyr et vont-ils, une seconde fois, traîner la fille de Domrémy ?

« Non : c’est un tribunal qui s’élève jusqu’aux nuages et près duquel deux nations attendent les procédures. Monseigneur de Beauvais va-t-il encore s’asseoir sur le siège du juge et compter encore les heures de l’innocent ? Ah ! non ! le voici au banc des accusés. Déjà tout est prêt, la chambre est remplie, la cour gagne ses sièges, les témoins sont rangés et le juge prend sa place. Mais voilà qui est vraiment imprévu ! Vous n’avez pas de conseil, monseigneur ? « Je n’ai pas de conseil : ni au ciel ni sur la terre, je ne trouve d’avocat qui veuille m’assister. » En êtes-vous donc à ce point d’abandon ? Hélas ! le temps est court, le bruit est grand, la foule est immense ; mais, pourtant, je vais chercher quelqu’un pour vous défendre, je sais quelqu’un qui sera votre conseil… Et qui donc vient du côté de Domrémy ? Qui vient de Reims dans les robes sanglantes du sacre ? Qui vient de Rouen, la face carbonisée ? C’est elle, c’est la pauvre fille qui n’a pas pu trouver d’avocat pour elle-même que je choisis aujourd’hui pour être le vôtre. C’est elle, je le promets, qui sera votre défense ; c’est elle qui saura plaider pour votre grandeur ; oui, c’est elle, évêque, qui prendra la parole, quand se tairont et les cieux et la terre ! »

Cte  G. De Contades.