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une évidente difficulté diplomatique parce qu’elle touche à un intérêt européen et au plus vif de l’orgueil britannique. Par une coïncidence qui n’a rien d’étrange ni de calculé, la question s’est trouvée débattue à la fois dans le parlement français et dans le parlement anglais. Il n’en pouvait guère être autrement après les derniers incidens qui ont décidé le cabinet de Saint-James à faire sentir sa prépondérance au Caire par une augmentation de ses forces d’occupation, et qui ont nécessairement provoqué une demande d’explications de la part de notre cabinet. Au fond, de quoi s’agit-il dans ce dialogue entre deux diplomaties, entre deux tribunes ? La situation ne laisse pas d’être bizarre. L’Angleterre est en Égypte, elle y est seule, en protectrice quasi-souveraine, laissant tout au plus au khédive, qu’il s’appelle Tewfik ou Abbas, les apparences du pouvoir. Elle ne le cache pas, elle l’avoue jusque dans le discours de la reine : elle considère comme un fait acquis, comme une « coutume établie, » comme un droit, la prétention de diriger les affaires de la vice-royauté, d’imposer ses conseils qui deviennent des ordres, de dicter jusqu’au choix des ministres et de réprimer la plus légère velléité d’indépendance. C’est ce qu’elle vient de faire encore une fois par la rude intervention de lord Cromer dans la dernière crise ministérielle du Caire ; mais, en même temps qu’elle reste campée en maîtresse jalouse sur les bords du Nil, elle n’ignore pas qu’elle s’est obligée envers l’Europe, envers la Porte, puissance suzeraine, par des engagemens formels. Elle convient qu’elle n’a qu’une mission « temporaire » en Égypte, — et même lorsqu’elle prend les résolutions les plus graves, lorsqu’elle se décide, sans motif bien saisissable, à augmenter ses forces d’occupation, elle se hâte de répéter les déclarations qui sont encore dans le dernier discours de la reine : que « cette mesure n’entraîne aucun changement de politique et n’apporte aucune modification aux assurances données au sujet de l’occupation de l’Égypte. » Fort bien ! Seulement, que signifie ce mot de temporaire ? Quelle est la portée de ces engagemens que l’Angleterre reconnaît, mais dont elle prétend être seule juge ? Qu’est-ce qui peut hâter la fin ou prolonger la durée de l’occupation ? C’est précisément la question qui ne cesse de se produire, qui reste une énigme puisqu’on est dans le pays des sphinx.

Assurément M. le ministre des affaires étrangères Develle ne s’est pas montré trop curieux lorsqu’à la suite d’un envoi de forces anglaises en Égypte, il a cru devoir réclamer quelques explications à Londres, et lorsqu’il a été interrogé dans notre parlement, c’est avec une extrême mesure qu’il a parlé des assurances nouvelles qui lui ont été données ; c’est, avec tous les égards possibles pour le cabinet de la reine qu’il a rappelé la gravité d’une question qui, en se prolongeant trop, pourrait devenir une occasion de trouble dans les rapports de l’Europe.