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Cerdon, après un long discours qui accompagne l’exhibition d’une paire de sandales et où il parle de sa conscience, de sa vie laborieuse et pénible, des dépenses qui l’épuisent, arrive plus directement à la vente de sa marchandise :


Mais, comme on dit, ce qu’il faut aux affaires, ce ne sont pas des paroles, mais c’est de l’argent. Si cette paire ne vous plaît pas, Métro, on vous en sortira une autre, et puis une autre, jusqu’à ce que vous soyez bien convaincues que Cerdon n’est pas un menteur. Apporte toutes les sandales, Pistos (un de ses trois apprentis), — car il faut, ô femmes, que vous vous en retourniez chez vous bien appâtées. — Regardez : voyez ces chaussures neuves de toute sorte…


Et il débite avec volubilité une vingtaine de noms, qui nous rappellent les énumérations de la comédie antique ou l’abondance rabelaisienne.


Dites chacune ce que votre cœur désire, afin que vous voyiez comme un cordonnier est la proie des femmes et des chiens[1]. — (Une femme) : « Combien veux-tu de cette paire que tu tenais en l’air tout à l’heure ? Et ne va pas enfler ton tonnerre et nous mettre en fuite. — Estime-la toi-même, si tu veux, et fixe le prix qu’elle vaut… » Et il ajoute un a parte à voix basse. La femme reprend : « Qu’est-ce que tu marmottes, au lieu d’énoncer le prix d’une voix franche ? — Femme, cette paire vaut une mine (près de 100 francs), qu’on la regarde en haut ou en bas. Athéné elle-même l’achèterait qu’il n’en tomberait pas la moindre poussière de cuivre. (Athéné ne trouverait rien à redire, tant le poli du métal est parfait ! ) — Il n’est pas étonnant, Cerdon, que ta petite boutique soit pleine de beaux et riches ouvrages. Garde-les bien, car, le 20 du mois Tauréon, Hécatée marie Artacéné, et il faudra des chaussures. Peut-être, par la faveur de la Fortune, ou plutôt certainement, elles t’apporteront ce que tu veux ; mais couds ton sac, pour que les chats ne dispersent pas tes mines. — Qu’il vienne Hécatée ou Artacéné, elle ne l’aura pas moins d’une mine ; après cela, réfléchis, si tu veux. — La bonne Fortune, Cerdon, ne te donne pas de toucher des petits pieds que touchent les Désirs et les Amours, mais tu n’es qu’une gale malfaisante. Quant à nous, tes prétentions sont démesurées ; tu donneras la paire à celle-ci… Et cette autre, combien ? Allons, fais résonner encore quelque chose de formidable, de digne de toi. »

  1. Plaisanterie insaisissable en français et même, comme d’autres, assez obscure. On voit que Cerdon veut s’attribuer une générosité sans limites, une prodigalité insensée dans son commerce.