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les procédés, et Thoré, qui semble lui avoir appris le peu qu’il sait. Il n’en est pas moins sévère pour tous, devanciers et contemporains ; sauf ces deux exceptions, il ne voit chez eux que bavardage stérile. L’infatuation et l’ignorance conduisent nécessairement à la manie de régenter, surtout lorsqu’elles se compliquent d’exclusivisme politique. Rédacteur du Siècle, Castagnary est bourgeois et anticlérical. Rien de mieux, s’il ne prenait de l’esprit bourgeois que le bon sens et s’il luttait contre le cléricalisme sur le terrain où on le rencontre. Mais, dans l’esprit bourgeois, il a l’imprudence d’incarner toute sa politique, et il rapporte au cléricalisme les formes les plus innocentes que l’idée religieuse peut revêtir dans l’art. Trop souvent cette double erreur le fait parler comme Joseph Prudhomme ou Homais. Voici du Joseph Prudhomme. Il s’agit d’un tableau de M. Hébert, représentant un couple d’amoureux causant au bord d’un puits. Castagnary s’écrie : « Que dit à la jolie créature ce fade ennuyé ? Lui trace-t-il le droit chemin ? Lui parle-t-il devoir, vertu, justice ? Lui montre-t-il que l’amour vrai est au gouffre des voluptés coupables ce que la margelle, sur laquelle ils s’appuient, est au puits profond qui les regarde ? Je ne puis le supposer. Quelle raison pure habiterait ces yeux creux et enténébrés, dont l’architecture indécise a vacillé sous la brosse ? Quel amour robuste, sain, épurateur, tiendrait dans cette poitrine grêle, qu’une croissance précipitée ou d’autres causes moins avouables semblent avoir appauvrie à l’excès ? » Après des phrases dans ce goût, il pousse un soupir de soulagement : « J’ai déchargé ma conscience. » Il s’indigne contre l’artiste romantique « qui taxe d’épiciers indistinctement tous les bourgeois, — les bourgeois, ces glorieux fils de la révolution, qui lisaient Voltaire, chantaient Béranger, applaudissaient Foy et faisaient le coup de feu contre les Suisses à travers la colonnade du Louvre. » Au tour d’Homais à présent. Castagnary admire beaucoup le Christ mort de M. Henner, mais c’est une admiration à contre-cœur, atténuée par cette réserve : « On peut regretter que cet art s’applique à des idées d’église. » Sur le Saint Isidore de M. Olivier Merson : « Un laboureur priant pendant que son ange gardien conduit la charrue, c’est une prime donnée à la paresse. Elle n’a rien qui étonne dans une religion de couvens et de moines, mais elle choquera singulièrement notre démocratie, pour qui le travail est la plus sainte des fonctions. » Voici bien la plus étonnante phrase que la manie politiquante ait inspirée. Il s’agit du Lamartine de M. Falguière : « Pourquoi un Lamartine poète ? De cet homme qui fut des mieux doués, un des plus complets du siècle, pourquoi ne prendre que le petit côté ? Pourquoi ne pas mettre le Lamartine orateur, le Lamartine politique ? »