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que je ne parlasse point de la religion, ni du gouvernement, ni de la politique, ni du produit net, ni de l’Opéra, ni des comédiens français : tout cela me parut fort juste, et, profitant de cette douce liberté qu’on laissait à la presse, j’imaginai de faire un nouveau journal. Mais quand je voulus lui donner un titre, il se trouva qu’ils étaient à peu près tous remplis par les mille et un journaux dont le siècle et la France se glorifient. Je me creusai la tête, enfin, las de chercher, je l’intitulai Journal inutile, et j’allais imprimer, lorsqu’un de mes amis, effrayé, m’avertit que j’allais, sur mon titre seul, avoir tous les journalistes sur les bras, que l’inutilité faisant l’essence de tous ces ouvrages périodiques, ils ne souffriraient pas que, sous l’apparence d’un titre nouveau, je partageasse avec eux tous un droit d’inutilité qu’ils n’avaient acquis qu’avec des pots-de-vin énormes et des pensions multipliées sur les têtes de tous les protégés. » Il est heureux que notre manuscrit s’arrête là brusquement, sinon nous aurions peut-être été forcé d’en interrompre la citation, pour ne paraître pas chercher des allusions trop brûlantes.

Après que Figaro eut tout dit, Louis XVI s’écria : « Cet homme joue tout ce qu’il faut respecter dans un gouvernement. » Il avait compris, quoi qu’on en ait dit, qu’après tout, son métier de roi consistait d’abord à être royaliste, et à réprimer l’insurrection de mons Figaro. Voilà pourquoi aucune de ces audaces ne devint publique, et pourquoi Beaumarchais, avant de porter les autres à la scène, dut ourdir, pendant quatre ans, toutes ces intrigues qui ont été tant de fois contées par d’autres et par nous-même.


II

L’occasion serait belle pour reprendre tous les documens de cette comique histoire, et pour montrer combien de points restés obscurs s’éclairent maintenant et fort curieusement à la lumière de notre monologue de Figaro. Mais pour le faire court, nous nous bornerons à faire remarquer que Beaumarchais ne céda le terrain que pied à pied. C’est ce qu’on voit clairement d’abord par l’autorisation de jouer la pièce aux Menus-Plaisirs, surprise on ne sait par qui ni comment, puis si brusquement retirée, et ensuite par le joyeux scandale de sa représentation à Gennevilliers, où a chacun souffrait de ce manque de mesure, » au dire de Mme Lebrun, une des spectatrices. On en souffrait plus ou moins, mais on le constatait ; et M. Campan, qui était aussi parmi les spectateurs privilégiés, et que sa femme avait mis sans doute au courant du texte et des incidens de la lecture clandestine chez le roi, ayant été pressé de