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ventre à Paris a dit que ma grossesse allait bien. Quelques praticiens de Versailles ont prétendu depuis que l’enfant se présentait mal ; on l’a retourné. Mais puisque nous sentons enfin les premières mouches, occupons-nous donc de mettre au monde mon second enfant comique. Ma première censure rend la seconde infiniment aisée, puisqu’il ne s’agit que de faire approuver ou improuver les changemens. » On a retourné l’enfant signifiait, entre initiés, — nous en avons d’autres preuves, mais trop longues, — que Figaro était retourné en Espagne, et que la Bastille était devenue, dans la nouvelle rédaction, le vague « château-fort à l’entrée duquel il laissa l’espérance et la liberté. » Il n’y eut plus de Pyrénées pour Figaro, le jour seulement où il n’y eut plus de Bastille, c’est-à-dire dix ans plus tard, lors du dénoûment lamentable de la trilogie comique dont il est le héros. En attendant, il ne restait plus à Beaumarchais qu’à dédier sa pièce au roi, à l’exemple de Voltaire, dédiant Mahomet au pape, et c’est ce qu’il fit, comme vient de l’établir M. Maurice Tourneux[1]. « Mais votre Figaro est un soleil tournant qui brûle en jaillissant les manchettes de tout le monde, » objectait-on à Beaumarchais ; son manuscrit inédit vient de nous expliquer pourquoi il répliqua avec un sourd grondement, dans la préface de la pièce amendée : « Qu’on me sache gré du moins s’il ne brûle pas aussi les doigts de ceux qui croient s’y reconnaître. »

Quant à ces praticiens de Versailles dont il est question dans son billet amphigourique à La Porte, nous savons quel était le plus autorisé d’entre eux, et qu’il n’était autre que le roi. Mais il n’était pas seul : et, au fait, qu’en pensait notamment l’autre majesté qui avait assisté à la lecture des audaces toutes nues de maître Figaro ? Elle eut voix au chapitre comme on sait de reste. Eh bien, après que Louis XVI eut exhalé sa légitime colère contre la pièce, la reine demanda : « On ne la jouera donc point ? » Sur quel ton de curiosité gourmande et inquiète cela dut être dit ! « Non, certainement, répondit Louis XVI, vous pouvez en être sûre. » Elle était bien sûre du contraire, la jolie souveraine ; elle en était bien sûre aussi, toute cette aristocratie qui l’environnait, si frivole, si friande des scandales de l’esprit, si chevaleresque dans son duel contre l’opinion, et qui s’en allait en chuchotant, dès le lendemain, de salon en salon, ce mot étrange que nous retrouvons sous la plume des grands seigneurs, comme sous celle de l’auteur : « Point de salut sans Figaro ! » La pauvre reine qui répéta sans

  1. Histoire de Beaumarchais, par Gudin de la Brenellerie, publiée par Maurice Tourneux, p. 488. Paris, 1888 ; Plon.