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froids rigoureux des mers du nord, laissant des veuves et des orphelins sans appui, des terres sans culture. Ceux qui survivaient revenaient affaiblis, adonnés à l’ivrognerie, demandant à de nouvelles avances, suivies d’un nouvel embarquement, le moyen de se livrer à leur vice favori.

Une réforme s’imposait, d’autant plus difficile qu’elle se heurtait à des intérêts puissans, que c’était par centaines que se comptaient les navires baleiniers, que leurs escales et leurs dépenses alimentaient le commerce des îles, qu’à interdire l’embarquement des indigènes, on courait le risque de ruiner ce commerce et de s’aliéner, outre la population étrangère qui en vivait, les Canaques dont la pêche baleinière était la principale ressource. Il fallait ouvrir d’autres voies à l’activité des uns et des autres, rattacher l’indigène au sol, mettre ce sol en culture, découvrir parmi les productions diverses celle à laquelle il s’adaptait le mieux, dont le débouché était le plus assuré et orienter dans ce sens les efforts et les volontés de tous.

Les résultats partiels obtenus par la culture de la canne à sucre étaient encourageans. Le voisinage de San-Francisco assurait un marché important, l’avenir nous paraissait être de ce côté. L’obstacle était dans la main-d’œuvre insuffisante pour défricher et planter de grands espaces ; mais cette main-d’œuvre existait au Japon et en Chine, à 1,400 lieues dans l’ouest, et aussi dans les îles polynésiennes du sud. Avec de l’argent, on pouvait triompher de cette difficulté. Le roi adopta mes vues, seconda mes projets et nonobstant l’opposition de ceux, et ils étaient nombreux, qu’enrichissait le ravitaillement de la flotte baleinière, j’obtins des chambres des mesures restrictives à l’embarquement des indigènes, des subventions aux planteurs et les fonds nécessaires pour faire venir d’Asie des travailleurs engagés pour quatre ans et dont les contrats seraient transférés aux planteurs par le gouvernement qui en surveillerait l’exécution. En même temps, j’entamais des négociations avec le gouvernement américain ; elles aboutissaient à la conclusion d’un traité de réciprocité qui assurait aux sucres havaïens l’entrée en franchise dans les ports des États-Unis.

C’était la réussite assurée pour les planteurs, le début d’une ère de prospérité qui devait aller grandissante, d’une ère de calme succédant aux jours de luttes et d’agitations politiques du commencement du règne. Ces questions résolues, nous en discutions d’autres. Le rêve de Kaméhaméha Ier hantait les veilles de son successeur. Lui aussi aspirait à de grandes choses. Monté plus haut, il voyait plus loin. Préoccupé des antiques migrations polynésiennes, il suivait sur la carte les étapes successives de ce peuple errant, entraîné par l’irrésistible courant qui, de la