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Washington ne semblait pas désirer, mais que les Américains faisaient tout pour provoquer.

Dans ces circonstances difficiles, il eût fallu à David Kalakaua plus d’habileté et de fermeté qu’il n’en possédait, d’autres conseillers que ceux qui s’imposaient à lui. Pour faire contrepoids aux idées républicaines et égalitaires des Américains, il accentuait l’importance de son rôle, pour résister à la propagande des idées annexionnistes, il tendait à l’excès les rouages de la constitution de 1866 que j’avais élaborée avec Kaméhaméha V et qui enraya pendant vingt ans toute tentative d’aliénation du royaume. C’était à la détruire et à lui substituer celle de 1852, œuvre des missionnaires américains, que visaient les partisans de l’annexion. Le roi leur en fournit lui-même l’occasion, en 1887, par l’interprétation trop absolue de ses clauses. Un conflit éclata entre son ministère et lui ; à l’appel du roi, les indigènes prirent les armes, mais, mal dirigé, le mouvement échoua et Kalakaua, contraint de céder, dut abroger la constitution qui le protégeait et accepter celle que les résidens étrangers réclamaient. Quatre ans plus tard, malade et découragé, il allait, sur l’avis de ses médecins, chercher à rétablir sa santé sous le climat plus vif de San-Francisco. Il y mourait le 20 janvier 1891. Sa sœur, Liliuokalani, lui succédait.


III

Les événemens allaient se précipiter et la main d’une femme n’était pas pour les arrêter. D’autres facteurs entraient en œuvre, avivant et compliquant un conflit politique qui devenait un conflit de races. Les Canaques sympathisaient avec leur souverain. Il représentait l’indépendance du royaume, l’autonomie nationale dont ils étaient fiers. Ils n’entendaient pas passer aux mains des États-Unis, déchoir au rang des Indiens, disparaître comme eux. L’instinct d’une grande iniquité dont ils seraient les victimes s’éveillait en eux. Était-ce là le prix réservé au cordial accueil fait par leurs pères et leurs chefs à ces étrangers qui s’enrichissaient des produits de leur sol, qu’ils avaient acceptés comme conseillers et comme guides, qui accaparaient les emplois publics et qui, pour accroître leurs fortunes, voulaient les annexer à leur patrie d’origine, alors qu’eux-mêmes avaient prêté, en se faisant nationaliser Havaïens, le serment de respecter les lois et de maintenir les institutions. C’était en vertu de cette nationalisation librement sollicitée que les Américains possédaient des terres, qu’ils les exploitaient, qu’ils exerçaient des droits politiques, qu’ils siégeaient dans les chambres et aussi dans les conseils du roi.