est souvent pauvre ; mais mieux vaut le bonheur avec peu que la prospérité du méchant. Cette prospérité passe si vite ! .. » D’autres fois, on se rejetait sur les mystères de la conscience humaine, sur les péchés qu’on peut avoir commis sans le savoir. Dieu est un juge si sévère qu’il trouve de l’iniquité dans l’homme le plus vertueux en apparence. Restait la théorie de l’épreuve passagère. Dieu se plaît quelquefois à mettre ses serviteurs à l’épreuve ; mais il répare ensuite le mal qu’il leur a fait. On imagina tous les cas possibles. Job, homme parfaitement juste, est atteint de malheurs affreux ; mais Dieu lui rend au double toute sa prospérité passée : au lieu de trois mille chameaux, il en a six mille ; au lieu de sept fils, il en a quatorze ; il meurt à cent vingt ans, rassasié de jours. L’infortune de Tobie est encore plus imméritée, puisqu’elle l’atteint dans l’exercice d’une bonne action. Mais il n’a pas à se plaindre : il est guéri, il voit son fils bien marié, il éprouve la joie suprême, il voit la ruine de Ninive, l’ennemie de sa race ; il meurt dans un âge très avancé. Judith, après son acte héroïque, est récompensée par le bonheur de son peuple, par les honneurs qu’on lui rend ; elle vit aussi jusqu’à cent vingt ans.
Les vicissitudes de l’histoire d’Israël s’expliquaient de la même manière. Les calamités terribles qui l’atteignent viennent, sans doute, de ses péchés ; ce sont surtout les sévérités d’un père, qui châtie parce qu’il aime. L’avenir réserve à Israël, comme à Job, des compensations infinies. Le monde, qui appartient maintenant aux violens, lui appartiendra un jour ; les peuples qui le méprisent seront un jour à ses pieds.
Ces faibles raisonnemens calmèrent tant bien que mal, durant des siècles, la conscience inquiète d’Israël. On se contentait à peu de frais, quand il s’agissait de sauver l’honneur de Iahvé. Au fond, l’agitation de l’âme israélite était immense. L’histoire d’Israël est un effort de dix siècles pour arriver à l’idée des compensations ultérieures. Le prophète, représentant de Iahvé, est dans une lutte perpétuelle avec son Dieu, qui le compromet en des promesses qu’il ne tient pas. L’israélite pieux reproche sans cesse à Dieu de manquer à sa parole, de n’avoir de faveurs que pour ses ennemis. Quoi de plus scandaleux, en effet, si Israël était vraiment le peuple de Dieu, de le voir partout subordonné aux païens ? Toute la puissance de Iahvé était employée à tourner à leur profit le caprice des despotes païens, à leur procurer de bonnes places d’intendans chez les vainqueurs du monde. Voilà un jeu vraiment assez mesquin pour l’Éternel. Le pauvre Sirach est, à la lettre, aux abois. Un juste meurt après avoir été toujours malheureux… Il n’a que des réponses misérables : « Sait-on ce qui se passe au dernier