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EN JUDÉE

PREMIÈRE PARTIE.


Jaffa, 18 septembre 1892.

Après les grandes lignes de l’Egypte, après l’humide Delta, étalé sous la coupole du ciel ardent, après les futaies serrées de dattiers qui bordent le fleuve bourbeux, après les nappes rouges que font jusqu’à l’horizon les eaux lourdes de limon et de sang nourricier, après la grandeur et la simplicité de cette terre des pyramides, des temples et des morts, on est surpris du charme de cette Palestine, de ce pays maigre et gracieux, de cette végétation classique et fine d’oliviers, de toute cette petite campagne sèche que forment d’abord les routes poudreuses entre les massifs de citronniers, puis la plaine de Saron, riche et douce à l’œil comme un tapis de haute laine, enveloppée à l’horizon par l’ondulation bleue des monts de Judée. C’est bien ainsi qu’on imaginait le paysage biblique : le sol sec, les rares bouquets de palmiers, des verdures de lauriers autour des fontaines, quelques oliviers festonnant de leurs feuilles d’argent la pureté limpide de l’azur, çà et là un pâtre menant ses chèvres, ou bien une file de chameaux débouchant, silencieuse et inattendue, entre deux haies de cactus ; un pays irrégulier, bossue, des horizons courts, une terre à cantons, à tribus séparées, à légendes locales. Cette Jaffa même, qui jette jusqu’à la plage les petits cubes blancs de ses cases, est nette, précise, avec cela la ville la plus pittoresque, la plus orientale que l’on puisse voir sur la Méditerranée.