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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/315

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ravins étroits du Hinnom et du Cédron, dans les régions mortuaires qui ne contiennent que de la poussière humaine. Au-delà, jonchant l’âpre flanc roussi de la montagne, bordant les deux vallées, des milliers et des milliers de points blancs semblent un ossuaire et sont les innombrables pierres que les Juifs ont jetées là pour marquer dans les vallées saintes leurs sépultures. Sous ce soleil de onze heures, on dirait un paysage lunaire, un morceau d’astre mort, plissé de ravins serrés, fendu, cassé, — son écorce affaissée sur le retrait de son noyau durci, — et qui tournerait dans l’espace, couvert des ossemens de ses races mortes. Cela est immobile et absolu. Pas une pellicule de végétation, pas même d’herbe brûlée. Çà et là pourtant, sur la grisaille universelle, on finit par distinguer la tache grise que fait un olivier solitaire, arbre résigné qui s’accroche à la pierre pour rendre plus visible la désolation. Tout en bas du profond sillon, un sentier circule, mal tracé, interrompu, fait comme d’égratignures successives péniblement prolongées sur la roche calcinée. À droite, tout d’un coup, avec stupeur, on découvre un village, sorte de traînée pâle, confondue au sol, s’allongeant comme une lèpre au pied du mont du Scandale, — tristes cases de terre séchée, qui se collent à la pierre sèche. Qu’est-ce que ce hameau de Troglodytes ? De quoi peut-il vivre dans ce paysage géologique où pas une trace de verdure, pas un filet d’eau ne sont là pour appeler et réunir les hommes, parmi ces crevasses et ces boursouflures de la croûte terrestre, sous le dur flamboiement de ce soleil dont les rayons dardés comme à travers le vide emplissent et brûlent les bas-fonds funéraires ?

Derrière la porte de David, à travers les cailloux, à travers les tombes, à travers les tas d’ordures, à travers des squelettes desséchés de chiens et de chameaux, un mauvais chemin, — la ligne imperceptible qu’ont tracée depuis des siècles les pas humains sur ces durs champs stériles, — un triste sentier descend vers les vallées, longeant d’abord les remparts, les vieux créneaux qui tombent en escaliers et dont les lignes anguleuses étreignent les terrasses et les coupoles de la ville. À présent la grossière maçonnerie arabe lait place à un mur admirable et cyclopéen qui certainement s’enfonce comme une falaise dans les profondeurs du sol, fait de blocs géans, de blocs lisses qui datent de la haute antiquité juive, probablement de Salomon, enchâssés là pour toujours, formant un angle indestructible et précis, à l’endroit où la muraille tourne et s’éloigne vers le sud.

Le sentier a quitté le rempart ; il descend, descend toujours parmi les pierres, tombe bien au-dessous de la ville. Tout en bas, à ma grande surprise, au fond du ravin roussi où les feux du