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qui s’est concentrée et croît rapidement dans l’extrême sud, la nation américaine serait absolument homogène. Elle l’est aussi dans ses idées, et journellement les divisions sectionnelles vont en s’effaçant. Elle n’a d’ailleurs jamais été passionnée dans le cours de son histoire que par une question à la fois. Il y a cent vingt ans, c’était celle des rapports avec la mère patrie ; la guerre éclata et l’indépendance en sortit : puis ce fut le douloureux problème de l’esclavage, la guerre encore le résolut de telle sorte que personne n’a plus jeté de regards en arrière. Une paix profonde a régné depuis lors dans la grande république. Le socialisme n’est pas jusqu’à présent à l’état de question ouverte, et le protectionnisme, la question du libre monnayage de l’argent, peuvent bien diviser les esprits, ils ne sont pas capables d’armer les bras les uns contre les autres. Les grands courans de la vie économique moderne ont comme les eaux d’un diluvium nivelé tous les débris et presque jusqu’aux souvenirs du passé.

Au Mexique, au contraire, on aperçoit dans les monumens, les institutions, les usages, les idées comme des couches historiques superposées ; d’abord, la race des occupans primitifs du sol encore compacte et gardant ses mœurs antiques sous une surface de christianisme ; puis la conquête espagnole avec son caractère guerrier et son incomparable énergie administrative ; un puissant établissement ecclésiastique qu’on a démantelé en le dépouillant de son patrimoine et en détruisant les ordres religieux anciens, mais qui tient encore par la foi et par le culte l’âme de l’immense majorité du peuple ; enfin par-dessus tout cela, des courans d’idées joséphistes et révolutionnaires à la manière française qui ont inspiré les lois civiles et administratives et rappellent le mouvement libéral européen de 1820 à 1848. Cette complexité d’élémens historiques toujours vivans, ce chaos de questions dont aucune n’a été résolue définitivement, expliquent les interminables révolutions dont l’héritage pèse sur le Mexique contemporain.

Les Espagnols avaient été de merveilleux colonisateurs. Ils avaient su non-seulement conquérir, mais convertir au christianisme les populations variées de langue et de mœurs qui occupaient la partie centrale du Mexique et formaient des groupes très denses. Cette base d’opération assurée, ils s’étaient élancés dans les espaces à demi déserts du nord et ils avaient établi méthodiquement des presidios et des missiones à des distances énormes jusque dans la Californie. Si l’on compare la grandeur des résultats obtenus avec les difficultés matérielles qu’ils rencontraient et la faiblesse des moyens dont ils disposaient, on placera les Espagnols du XVIe et du XVIIe siècle au premier rang des colonisateurs. Des villes comme