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certain que nous serions définitivement battus par l’Allemagne, que M. Visconti-Venosta adressait à tous les représentans de l’Italie à l’étranger une circulaire où l’on peut lire : « Depuis dix ans, dans le cours de négociations souvent reprises et toujours interrompues par les événemens politiques, les bases possibles d’une solution définitive de la question romaine ont été confidentiellement reconnues en principe et subordonnées seulement à des considérations d’opportunité et de convenance politique, par la France aussi bien que par d’autres puissances. »

Le 7 septembre, nouvelle circulaire qui annonçait officiellement l’action. Rappelons ces deux dates, dit un auteur italien, M. Scaduto : 2 septembre, bataille de Sedan ; 4 septembre, proclamation de la république et institution du gouvernement de la défense nationale. Le ministre d’Italie à Paris, M. Nigra, fit diligence. Dès le 8, il pouvait écrire : « M. Jules Favre, ministre des affaires étrangères, m’a répondu que le gouvernement français laisserait agir le gouvernement du roi sous sa responsabilité. » Le 12, confirmation de cette dépêche : « Le ministre des affaires étrangères m’a répété que le gouvernement français nous laisserait faire avec sympathie. » Le 22, c’est M. Senard, notre représentant à Florence, qui, à son tour, formule les mêmes assurances dans une lettre restée légendaire : « Le jour où la république française a remplacé, par la droiture et la loyauté, une politique tortueuse qui ne savait jamais donner sans retenir, la convention du 15 septembre a virtuellement cessé d’exister[1]. » M. Jules Favre disait, de son côté : « La France ne peut pas se mêler directement de la question romaine. Le pouvoir temporel a été un fléau pour le monde ; il est à terre, nous ne le relèverons pas. Nous verrons le gouvernement du roi aller à Rome avec plaisir ; il est nécessaire qu’il y aille. L’ordre et la paix de l’Italie sont à ce prix[2]. »

La gradation est observée : d’abord l’indifférence : « Allez sous votre responsabilité, » puis la sympathie, enfin le plaisir : « Nous vous verrons aller à Rome avec plaisir[3]. » Les Italiens eux-mêmes le constatent : « Le gouvernement de la défense nationale était composé d’élémens tels qu’il ne devait pas insister, même sur les garanties, et de fait, à la différence de la majeure partie des autres puissances intéressées, il n’y insista point. L’Italie resta donc

  1. Peu importeo que cette lettre ait été blâmée par M. de Chaudordy, sévèrement jugée par Gambetta, autant que par le duc de Gramont. Elle est authentique et subsiste. M. Visconti-Venosta en avait pris acte le 26 septembre.
  2. Rotban, l’Allemagne et l’Italie, 1870-71, t. II : l’Italie (introduction), p. 113.
  3. D’après un autre écrivain italien, M. Chiala, M. Thiers aurait dit, lors de sa mission à Florence : « À votre place, j’aurais fait comme vous. » — Luigi Chiala, Pagine di Storia contemporanea, dal 1858 al 1892 ; fascicolo I, p. 77.