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à entendre M. Brassier de Saint Simon, diplomate prussien en dépit de son nom français, « que la succession de la France était déjà ouverte et qu’il suffisait à l’Italie de produire ses titres pour être admise au partage. Il parlait en toute liberté de Nice, de la Savoie, de Tunis et de la Méditerranée. »

Mais à Rome, M. d’Arnim faisait la contre-partie, et M. de Bismarck, de sa puissante main, donnant à propos une chiquenaude à l’un ou à l’autre des plateaux, tenait égale la balance. « Il est un point sur lequel M. Brassier de Saint-Simon ne s’expliquait qu’avec embarras : c’était Rome. La politique italienne était trop affinée pour ne pas s’apercevoir que M. de Bismarck avait de secrètes raisons pour ménager le Vatican. » M. d’Arnim y travaillait de tout le pouvoir de son esprit d’intrigue. Autour du pape on récriminait contre l’empereur Napoléon III ; « on l’accusait de manquer à ses promesses ; la Civiltà l’appelait infâme et l’Unità cattolica faisait ouvertement des vœux pour l’Allemagne. Elle affirmait avec une rare assurance que la Prusse victorieuse rétablirait le pouvoir temporel dans toute sa plénitude… Les prélats, dans les antichambres du Vatican, étaient tout oreilles aux paroles veloutées du représentant de la Prusse protestante ; ils ne cachaient pas leur courroux et leur dédain au représentant de la France catholique[1]. »

Le double jeu se jouait, à Florence et à Rome, aux dépens de la France. Il y avait plusieurs années que les dés étaient pipés et les places assignées aux comparses. La partie était engagée, depuis 1867 : « Il plaisait sans doute à M. de Bismarck de voir la France aux prises avec les passions italiennes, mais il ne pouvait lui convenir de s’associer à la révolution contre la papauté. Il avait à ménager les sujets catholiques du roi de Prusse ; » il lui importait surtout de ne pas s’aliéner « les députés catholiques qui siégeaient dans les chambres wurtembergeoise et bavaroise[2]. » La formation de l’empire allemand allait singulièrement accroître

  1. Comparez les instructions du 29 août (M. Visconti-Venosta à M. Nigra) : « Les choses en sont venues au point qu’aujourd’hui la cour de Rome appelle le secours d’autres puissances pour le pouvoir temporel et ne cache pas les espérances de restauration qu’elle fonde sur les malheurs de la France. » — Voyez aussi Rothan, l’Allemagne et l’Italie, t. II : l’Italie (introduction), p. 84. Le roi Guillaume tint, en personne, ce langage au cardinal Ledochowski, à Versailles : « La campagne faite, il donnerait une sévère leçon aux a usurpateurs » de Rome. » (Chiala, op. cit., p. 85.)
  2. Id, ibid., p. 34.